18 | Condensateur, plaisir

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« Condenser : Empr. au lat. class. condensare « presser, serrer » notamment certaines substances (marc des raisins, fromage, etc.). »

« Condensateur : Étymol. et Hist. 1. 1753 « appareil dans lequel on opère la condensation des gaz » (Encyclop. t. 3); 2. 1808 « appareil servant à emmagasiner une charge électrique » ici p. anal. en parlant des cellules nerveuses (Cabanis, Rapports du physique et du moral de l’homme, t. 1, p. 352); 3. 1924 opt. (Gatin). Dér. du rad. de condenser*; suff. -(at)eur2*. », CNRTL

Je poursuis les approches 6, « la ralingue, la langue » et 14, « ralingue ! ».

RE et R sont dynamiques. Partant de l’idée de mot-condensat (poinçon 341 : le condensat , entre Dichtung et Verdichtung, entre « poésie » et « condensation » de sens), je vois soudain RE et R comme des condensateurs, ces composants électroniques capables de stocker des charges électriques opposées et de se décharger à la demande. L’image me plaît : j’y retrouve l’une des dynamiques présente dans l’œuvre. Ces condensateurs de sens, disséminés dans tout le corpus, sont des signifiants qui permettent leur circulation à l’intérieur de chaque pièce, entre les pièces, et entre les textes de l’auteur, entre ses textes et ceux à qui il fait référence. Le lecteur est courant électrique : ses lectures, et toute la technique déployée (anticipations, retours en arrière, feuilletages, aller-retour entre les textes, notes …) [à venir : LECTURE]

Par la lecture, les chemins et sentes suivis, le lecteur informe le texte, charge mentalement ces signifiants de tous les sens accumulés au gré des pages, pour les décharger lorsqu’il touche les autres signifiants, et particulièrement les condensateurs, unités signifiantes brèves. On l’a vu déjà pour A ou X.

L’unissonance du R s’affirme en un randon, une course impétueuse des sens qui file et fait crépiter chaque R. « Les sons du signifiant se diffractent en sens ou compréhensions multiples selon la poussée d’une ligne d’écriture qui les bouleverse en les traversant », écrit Claude Rabant dans « L’onomaturge » ( Esquisses psychanalytiques, n° 15, 1991), ligne d’écriture « qui s’inscrit dans la parole elle-même, comme fracture ou effraction internes ». Je vois aussi l’intensif តែម្ដង (taemdaang) comme un condensateur : mot qui dit, entre autres, « beaucoup, très, carrément, vachement ».

R est donc aussi à voir comme marque de l’oralité, si présente dans Dâh et les autres textes de C. Macquet [à venir : ORALITE/EFFRACTION]. Se dégage en outre le thème de la ligne d’écrituretout aussi essentielle : ligne et ses avatars en spires, tourbillons, pointillés, diagonales, qui concourent à munir Dâh d’un système nerveux qui emporte le lecteur dans ces randons. [à venir : LIGNE]

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Ce réseau déployé dans et autour de l’œuvre peut recevoir le nom d’ « intertextualité », à comprendre aussi comme « intratextualité ». Immense réticule permettant l’innervation de tout le corpus de l’auteur, fait de lignes imprimées, visibles, et d’un invisible réseau mental, liant l’auteur, ses lectures, l’éditeur, les lecteurs.

Le plaisir ressenti à la lecture de Dâh provient aussi de l’interpénétration de ces réseaux. C’est vrai de tout corpus littéraire ; cette évidence ne rend cependant pas justice de la manière dont les réseaux communiquent ici entre eux. Il ne s’agit donc pas de s’arrêter à une lecture technique, à une recension des dispositifs déployés (même si je n’en fais pas l’économie, car le faire importe), mais à la fois de se laisser aller à l’œuvre (à la jouissance du texte), de se laisser ravir, et de tenter (pour moi) de saisir ce qui motive cette jouissance.

Le modèle réticulaire comporte une dimension fractale. Je peux considérer chaque mot, chaque signe d’un texte, comme un nœud d’un réseau plus grand, qui serait le texte lui-même, ou l’une des 108 pièces de Dâh. Chaque pièce à son tour serait un nœud, mettant en relation toutes les pièces entre elles. Chacun des livres de l’auteur serait un nœud de l’ensemble de l’œuvre. J’y ajoute les autres nœuds, constitués des textes des auteurs participant de l’imaginaire poétique de Christophe Macquet. Points de convergence avec le rhizome de Deleuze et Guattari : une absence de centre, une œuvre en évolution permanentedénuée de niveaux, an-archique (voir 12), où chaque élément peut en influencer un autre, sans égard pour le lieu (où se tient le texte par rapport aux autres textes, où chaque texte a été écrit) [tenter une liste de tous les lieux où l’auteur a posé le pied, TOPONYMES] ni le moment (l’auteur revient des années plus tard sur un lieu, un personnage, un nom, un fait, dans un après-coup nécessairement déterminé par la logique éditoriale, mais qui, par l’éclaircissement apporté, jette un pont entre chaînes signifiantes, par delà les années et les lieux d’écriture). J’ajouterai le principe de répétition (compulsion de répétition pour Freud, insistance de la chaîne signifiante pour Lacan, ou répétition de la pousse (poussée) du rhizome pour former des arborescences.)

Ainsi, tout le corpus de l’écrivain et photographe C. Macquet est à la foi ubique, polynodal, décloisonné. On comprend la demande à la fois malicieuse et sérieuse de l’auteur à la fin de Desde Luna Western : « XVIII. je conseille donc à mes (nombreux) futurs lecteurs de faire très attention. » Faire attention à ces lignes, traductions concrètes, par l’empreinte de l’encre, des lignes rhizomiques.

(crédits photos : « Fex-Indo, flash à condensateur (France, années ’50) » by Cletus Awreetus is licensed under CC BY-NC 2.0.

« File:Phragmites australis rhizome kz.jpg » by Kenraiz is licensed under CC BY-SA 4.0.)