poinçon 2
Desde Luna Western (2013) propose la nouvelle version d’un texte paru en février 2012, dans la revue Escritores del mundo de Miguel Vitagliano. L’auteur, fidèle à son chiffre 2, utilise la réduplication dans une apparence de dialogue, d’interview retranscrite, avec Miguel :

La traduction en espagnol est signalée par la majuscule B (A marque le français, B l’espagnol, toutes deux lettres premières des deux alphabets.) Ce sera la seule occurrence de ces lettres, le signal du passage d’une langue à l’autre, comme s’il fallait surenchérir sur cette évidence visuelle. Insister sur la différence, c’est la mettre en scène – d’ailleurs A et B sont semblables à des didascalies – mais cette différence est visuellement neutralisée par le jeu de miroir des phrases assemblées en dyades.
L’enjeu est pluriel : a) réfléchir chaque langue dans l’autre de façon insistante grâce aux dix-huit dyades numérotées de I à XVIII, pour faire naître, dans le blanc typographique qui sépare chaque phrase/langue, cet entre-deux-langues déjà évoqué (poinçon 1) où source et cible occupent tour à tour, voire en même temps la même place, et ainsi créer un vacillement, un miroitement ; et b) montrer la maîtrise linguistique de l’auteur, qui s’affiche comme tel (« vous me demandez… »), mais toujours derrière un dispositif déclinant le double. Le chiffre romain I est numéral : il va signaler l’accroissement du texte sous les yeux du lecteur, sa montée en charge culturelle, qui ressortit à la langue latine, géographiquement circonscrite (j’y reviendrai).
Dix-huit dyades qui dévoilent explicitement (c’est assez rare pour le signaler) un double impératif :

a) rompre l’isolement (de la monade) en s’ouvrant et se traduisant. Je le lis, encore, à deux niveaux : « se traduire » du français à l’espagnol (et inversement), mais aussi « se traduire », au sens de « se faire entendre », comme si chaque énoncé, en français ou en espagnol, échappait à la compréhension. Par ailleurs, « se traduire » signifie aussi « citer, appeler à comparaître », « appeler à paraître », bref, se manifester devant un public ;
b) interroger la question de la forme à donner à l’œuvre écrite et photographiée :

La forme est soumise à la question dans les dyades, et l’auteur énumère les possibilités « ancienne[s] » (texte français) et « ajena[s] » (texte espagnol). La « traduction » est ici réécriture, car « ajeno » signifie « étranger », « extérieur ». Je lis donc deux messages : les anciennes formes littéraires, et les formes « étrangères » ou « extérieures », rien moins qu’équivalentes ou superposables. Se pose donc la question de doubles destinataires des textes : francophones et non hispanophones (auquel cas, ils n’y verront que du feu) ; hispanophones et non francophones (idem) ; francophones et hispanophones (il faut être attentif, comme l’a demandé l’auteur à la fin du livre, au choix des mots). C’est dire que le lecteur, selon la langue d’où il lit, ne recevra pas le texte de la même façon. La lettre (entendue, toujours, comme littera, « caractère d’écriture » puis « écrit, connaissance littéraire, culture ») a plusieurs destinataires, sans compter l’auteur, qui déploie d’abord pour lui-même ces dispositifs.
C. Macquet énumère donc : « une lettre », « une interview », « des récits », « un pamphlet », « un essai », « un exposé méthodologique », « une machine à secrets », « une machine à soufflets », « une machine aspirante ». Je retrouve un écho des « machines désirantes » de Gilles Deleuze. [piste à suivre]. Je vais relire Luna Western pour vérifier tout cela. L’auteur emprunte-t-il toutes ces formes ? A quel lieu-dit se poste-t-il, l’auteur, pour mouler ses/ces empreintes ? Question naïve : dépasse-t-il ces formes ? Elément de réponse : les dispositifs doubles font partie de la réponse, mais ne suffisent pas encore. Il faut aller plus loin.
Je reste sur la dimension formelle. DLW s’articule sur une première série de dyades numérotées de I à X. La dixième dyade génère 12 amorces de récits à l’œuvre dans LW, 12 amorces en français répliquées dans leurs douze traductions en espagnol, toutes numérotées en chiffres arabes ; puis on retrouve trois dyades numérotées de XI à XIII, et la treizième génère à son tour 12 x 2 récits, et enfin une ultime série de 5 dyades numérotées de XIV à XVIII, qui ne génère aucune amorce de récit. Ainsi, les 48 dyades bilingues arabes constituent une expansion des 18 dyades romaines. Paru en 2013, DLW reprend le dispositif à l’œuvre dans LW (2011) – hasard des parutions ou non, DLW est publié 2 ans après LW. Dans LW, C. Macquet déploie chaque langue en regard sur les deux pages juxtaposées, créant le miroitement interlinguistique de façon horizontale. Il reprend ce procédé mais en modifie la disposition dans DLW, où chaque page offre du texte en français, suivi de sa traduction-dérive-expansion en renvoi à la ligne. Le foyer du miroitement s’en trouve spatialement modifié, puisqu’il se joue d’abord verticalement. Si l’on superpose mentalement les deux œuvres, on voit que la tension générée entre texte-source et texte-cible, entre « l’original » et la « traduction » (dont on a vu qu’ils étaient interchangeables, remettant ainsi en cause la logique rationnelle de la cause et de sa conséquence) électrise tout l’espace du livre, en usant du chiffre 2 et de ses multiples.
3
la place des icônes
Autre pièce du dispositif (j’allais dire : du puzzle, tant je pense aux feintes des dispositifs perecquiens), l’icône. Si je laisse de côté la première de couverture de DLW, onze icônes apparaissent dans les expansions-amorces de récits. Seules deux apparaissent dans les dyades XVI et XVII. Les icônes se répartissent entre photographies et schémas d’un dispositif d’assemblage, la queue d’aronde. Les « photographies présentes dans ce livre font partie d’une série intitulée ‘Réinjections’ (2013). Il s’agit de photographies de photographies (prises entre 2005 et 2012) défilant sur l’écran d’un ordinateur », écrit l’auteur en présentation. Je reviendrai sur ce dispositif précis de la réinjection. Pour l’heure, je voudrais souligner l’utilisation de l’icône comme expansion de l’expansion. Ces photographies ne sont pas des « illustrations », puisque l’on n’est pas dans la représentation mimétique d’une réalité (si tant est qu’elle soit possible), mais bel et bien un surcroît de sens. La dyade texte/photographie doit s’appréhender selon deux imaginaires différents de ceux qui président à la lecture de la dyade purement textuelle.

La photo instaure une circulation de sens supplémentaire, régie par la loi du même (ils ont le même numéro), mais fondée sur une différence de statut (texte vs image). Le numéro identique assure donc une même position hiérarchique dans la page (bien que sous le texte, l’image soit à la même place dans le dispositif). La photographie semble être l’une des « milliers de photos (dans le désert) » signifiée par le texte : pas de désert, mais une juxtaposition de notes manuscrites, d’un passeport, d’un stylo, soit tout ce qui fonde l’auteur comme sujet (porteur du nom propre « Macquet ») et comme écrivain. C’est dire encore que la circulation de sens imposée par ce dispositif texte-image ne va pas de soi, qu’il y a là encore vacillement qui remet en cause le statut de la représentation.