
330. Un peu rasséréné par l’œuvre de Pesquès (il est venu au moment où cela importait) dans mon appréhension et mes manquements (ou supposés tels) au chantier en cours. Reprise de la lecture de Soldats en Algérie de Jauffret, que je trouve décidément excellent. Je repère dans la grande histoire les petits faits vrais dont je pense que mon père a pu les vivre, ou en être témoin.

331. Ai achevé Bois d’azobé de Françoise Renaud : c’est un livre magnifique, lu d’une traite. Magnifique à plus d’un titre : la fluidité, la sensibilité. Mais surtout, le lecteur est pris par la main, et assiste au livre en train de se créer sous ses yeux, doublement : dans la lecture même, qui fait advenir le texte, et dans le thème choisi par F.R. : comment, à partir de si peu, le livre va surgir. Tout en retenue, en humilité. Les niveaux de réalité se mêlent harmonieusement : le récit du livre en train de se faire, l’histoire qui naît et peu à peu s’agrège par petits pans fictionnels, celle d’un jeune garçon noir, jusqu’à l’épiphanie au chapitre « Les mains noires », p. 89, qui ne ponctue pas la fin du livre pour autant :
Tout de même il me manquait un mot, un mot pour décrire ce que je ressentais de la peau, un mot capable de réunir sens et musicalité, un mot de ralliement, de reconnaissance qui pourrait rester attaché au personnage et peut-être même le définir pour la suite. […] Et puis ça m’est tombé dessus…A partir de là, le texte a coulé.
Force du mot qui permet à la langue son flux. Prégnance d’un signifiant-maître, qui a la vertu de concentrer the world in a nutshell, tout l’univers du livre en quelques signes : azobé. Le mot va irriguer en aval le texte, mais l’irrigue déjà en amont : ni l’autrice ni le lecteur ne le sait encore consciemment. En contrepoint, F.R. utilise une graphie africaine, l’alphasyllabaire ge’ez semble-t-il, utilisé en amharique ou en tigrigna, parlée en Ethiopie et en Erythrée. (A vérifier auprès de F.R.) Vertu d’écrire sur la page une langue inconnue de moi : trouer le texte français, faire soudain vaciller la compréhension – j’en suis réduit à conjecturer ce que les lignes en ge’ez peuvent dire – au profit d’un autre lieu, d’une autre culture. C’est finalement la 3e strate du texte, qui nous restera celée, dans le noir de l’encre et dans le noir de la peau couleur bois d’azobé. Dispositif accentué par le carnet du jeune garçon, qu’il garde précieusement sur lui et cache sous une natte : le carnet que le maître d’école d’Awasana lui a donné, et sur lequel il apprend à écrire. Et je vois soudain que les lignes laborieuses écrites en ge’ez sur le carnet par le jeune garçon reflètent les lignes écrites en français, celles-là mêmes qui font exister la 3e strate, dans une mise en abîme subtile – car le texte est subtil et jamais démonstratif. Au final, Bois d’azobé raconte autant la naissance d’un texte qu’il interroge les ressorts de la création littéraire, consubstantielle au corps. En exergue, on lit une citation de Rilke :
Il faut que vous laissiez chaque impression, chaque germe de sentiment, mûrir en vous, dans l’obscur, dans l’inexprimable, dans l’inconscient, ces régions fermées à l’entendement.
Ce texte incarne aussi les mots de Nicolas Pesquès : Le corps est devenu grammatical.
332. Zoom T L très intéressant hier. Entre autres, est relancée la participation au Dictionnaire du comment écrire, chantier lancé il y a quelques mois déjà sur le Tiers Livre. Je commence à jeter quelques notes concernant des entrées qui m’intéressent.
333. Retravail de pages d’Algérie, passage au tu acté.
passage au tu acté : ça me parle
Tellement merci d’avoir posé des mots après lecture, mots qui comptent énormément pour moi après tant d’interrogations et de solitude…
[…] Premiers échos de lecture depuis la toute récente parution de mon récit Bois d’azobé, dont ces lignes infiniment brûlantes de Bruno Lecat paru dans son journal du 14 décembre 2021. […]