31 | Peau brune, claquemur

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« Se claquemurer » est à l’origine un « dér. de (jouer) à claquemur, jeu d’enfant (Oudin, Trésor des deux lang. espagnolle et françoise, Paris, 1660) consistant prob. à enserrer un joueur si étroitement qu’il fait claquer les bornes qui le cernent, composé de la forme verbale claque de claquer1* et de mur*. » (Cnrtl). L’enserrement, la claustration, conduit à émettre des signes : faire claquer les bornes, l’anticlouage : errécrire. Car la solitude emmurée n’est pas la bonne monnaie. Il faut que dans la solitude, il y ait du jeu entre les bornes. C’est tout le sens de ces innombrables voyages de C. Macquet.

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« Y mettre de sa peau », comme l’écrit Lacan pour souligner le prix élevé à payer, me fait revenir à la figure du sauveur de la « fillette à peau brune », inscrite dès l’enfance du narrateur-poète :

(« 4. On ne se quittera jamais », p. 14)

La généalogie familiale (« 89. Généalogie ») accorde à la figure maternelle une ascendance orientale et gitane :

mourir d’inanition, faute de sein maternel ; c’est l’eau de mer qui la sauve, nouant ainsi dans l’imaginaire de l’écrivain une relation ambivalente à la mer noyante et salvatrice à la fois, un pharmakon (charme magique, drogue, remède et poison) :

Sauver la mère, c’est imaginairement lui donner le sein de Dâh, telle une offrande de vie à la disparue. Relation amoureuse, quand on aime sa mère d’amour :

(pièce « 10. Le Boléro de Ravel »)

La Charité romaine ou Cimon et Péro
1628 / 1630, Charles Mellin, https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010061667

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L’auteur-sauveur bouleverse l’ordre symbolique père-mère-fille. Le fils occupe la place du père et devient le père. La mère occupe la place du fils et devient sa fille. Ne reste qu’une relation duelle fils-mère, doublée du lien imaginaire père-fille. Ascendance et descendance sont effacées au profit d’un nouveau couple affranchi de l’hérédité, noué autour du sein Dâh . Dans les « Enregistrements » de la pièce 95, je lis « en vieillissant, je deviens le père de ma mère / priorité aux Zoberts / une nuit de fièvre / Archibald se lève toutes les heures pour boire un verre d’eau et se rafraîchir le visage / ma fille / ma fille imaginaire qui me nourrit au sein (comme Péro et le vieux Cimon) / tetxes liexu brilants oú j’a snet le trcu du rapprt 1a l’être” . [L’UN] L’auteur évoque ici la scène traditionnelle de la Charité romaine, que l’on trouve chez de nombreux auteurs antiques (Valère Maxime, Pline l’Ancien, Solin…), et qui illustre le parangon de la piété filiale à son plus haut degré (តែម្ដង : taemdâng). L’auteur s’identifie au père tétant le sein de sa fille, fille du Sud, jeune fille étrangère, fille « à peau brune », jeune fille khmère. A l’enfermement de l’auteur, Cimon emmuré dans sa solitude, répond l’ouverture de Dâh, né du mouvement et des voyages. L’allaitement inattendu est à retrouver aussi dans la photographie de la louve capitoline (poinçon 563) qui effaçait la frontière entre homme et animal, comme Pero efface celle qui sépare le père et l’enfant. Il en va ainsi de toutes les frontières, temporelles et spatiales : Dâh les trouble, voire les efface.

 « – Tu l’as dit, petit, essentiel. Ma mère vient du cœur de Boulogne (les circuits d’énergie populaire), puisqu’elle a grandi dans le quartier Saint-Pierre. En même temps, c’est une étrangère. Trop brune pour la région. C’est une enfant d’ailleurs. » (pièce « 89. Généalogie », p. 267)

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