40 | Comment connaître : décoller

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Dans la première partie de L’expérience intérieure, « I. Critique de la servitude dogmatique (et du mysticisme ) », Georges Bataille définit ce qu’il entend par cette expérience : « ce que d’habitude on nomme expérience mystique : les états d’extase, de ravissement, au moins d’émotion méditée. […] une expérience nue, libre d’attaches, même d’origine, à quelques confession que ce soit. » Il ne fait aucun doute pour moi que Dâh fait état, à plusieurs reprises, d’ « expériences intérieures ». Il s’agit d’abord de l’épisode du mur d’hôtel à Na’in, qui répète celui d’un hôtel à Irkoutsk :

« Archibald descend du bus à Na’in, il marche vers le centre sans rencontrer personne, boulangerie finalement, excellente galette au sésame, un minuscule hôtel, j’ouvre le vasistas, cour crasseuse, mur pisseux, je regarde le mur et soudain le mur se met à briller (il m’est arrivé la même chose dans un hôtel à Irkoutsk), le mur palpite, c’est ridicule à dire, mais c’est puissant, irrépressible, faire une photo ? Sentiment d’existence, mais déjà hors de l’existence, dilatation sans sommation, le mur scintille, de plus en plus fort même, Archibald a l’impression de le vivre dans tout son relief, dans le moindre de ses granulats agglomérés (parpaing, du lat. perpetaneus), ça dure plusieurs minutes, Avine est pris, je finis par retoucher terre et je fais une photo, mais la photo est nulle, ça ne suffit pas, sans témoin (heureusement), sans filet, pareille brillance ne suffit pas, ne reste que de la cendre et de l’ahurissement, ne reste que du neutre indistinct, Archibald comprend (croit comprendre) qu’on est condamné à tisser pour piéger un peu d’être, qu’on est condamné à pêcher avec des filets (bien souvent empruntés à d’autres) », 51/167.

Vivre un mur « dans tout son relief, dans le moindre de ses granulats agglomérés » (voir aussi 46 et 52), est une épreuve qui laisse son auteur dans « l’ahurissement », et dont il ne reste, après qu’il a retouché terre, que « de la cendre », « du neutre indistinct ». Non-savoir que cette épreuve soudaine, à laquelle l’auteur n’était pas préparé. Je trouve une certaine convergence avec Bataille, qui affirme « qu[e l’expérience intérieure] ne mène à aucun havre (mais en un lieu d’égarement, de non-sens). J’ai voulu que le non-savoir en soit le principe […] ». L’auteur revient à la réalité et la trace photographique échoue, frappée de nullité ; le retour sur terre est consomption de ce qui a été éprouvé comme un vivre de la matière, et ne laisse que « cendre ». L’écriture seule pourrait garder un peu de cela qui a eu lieu, devenu « neutre indistinct », définition ici du non-savoir. Ce qu’affirme aussi Bataille : « L’expérience ne révèle rien et ne peut fonder la croyance ni en partir. » Ces expériences de mur, comme si l’auteur était dans une cellule monacale, sont des extases (« Empr. au lat. chrét. ecstasis, extasis « fait d’être hors de soi ; peur, stupeur ; folie, transe ; extase (mystique) » ; et celui-ci au gr. ε ́ ξ τ α σ ι ς « id. ». , Cnrtl), sans Dieu, partageant néanmoins avec l’extase religieuse des points communs : l’état de stupeur (l’auteur en sort ahuri, c’est-à-dire dont la tête est « hure », « tête ébouriffée d’un homme », Cnrtl) ;

couverture du Horla, traduit en khmer par C. Macquet

le sentiment de « dilatation » , qui rappelle celle des mystiques chrétiens (« tout notre intérieur se dilate et s’élargit » , écrit Sainte Thérèse d’Avila (Le Château intérieur, « Quatrièmes demeures », II, 4-9, 1577)  ; le constat d’une nescience « Je suis entré où ne savais / et je suis resté ne sachant / toute science dépassant », Saint Jean de la Croix, Autres poèmes). Epreuve de l’extase matérielle, granulaire, minérale. La dissociation du mental dans l’extase, l’absence ponctuelle de conscience réflexive, qui fait que l’on s’absente de là où l’on est pour un autre lieu, est d’autant plus troublante pour le lecteur que l’auteur fait glisser les instances narratives. Soit la chaîne suivante : « Archibald » – « il » (deux occurrences) / « je », « je », « m’ » (trois occurrences) / « Archibald » (une occurrence) / « Avine » (une occurrence) / « je » (deux occurrences) / « Archibald » (une occurrence). Soit quatre occurrences pour « Archibald », cinq pour la première personne, une pour « Avine ». Dix occurrences pour rendre compte de cette extase ; un « sujet » d’énonciation diffracté ; aucun « sujet » pour dire le « Sentiment d’existence, mais déjà hors de l’existence, dilatation sans sommation, le mur scintille, de plus en plus fort même » : des impressions plus ou moins claires, une perception visuelle. Le « Je », littéralement ravi, s’éclipse du texte.

Sainte Thérèse d’Avila et Saint Jean de la Croix

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C’est par le paradoxe que se dit l’extase, à l’instar, encore, d’un Saint Jean de la Croix dans ses « Couplets faits sur une extase de très haute contemplation », où le « sentiment » est présent : « J’étais en tel ravissement / si absorbé si transporté / qu’est demeuré mon sentiment / de tout sentir dépossédé / ainsi que mon esprit doué / d’un comprendre non comprenant / toute science dépassant » (« Estaba tan embebido / tan absorto y ajenado / que se quedó mi sentido / de todo sentir privado / y el espíritu dotado / de un entender no entendido / toda ciencia trascendiendo », Nuit obscure, Cantique spirituel, Poésie Gallimard, traduction de Jacques Ancet). C. Macquet évoque d’ailleurs le mystique espagnol dans l’ultime pièce de Dâh : « à ce moment-là, le jeu, le sifflement du loriot, tu cherchais mes larmes, mon affaiblissement, toda ciencia, saint Jean de la Croix, surtout pas, surtout pas  » , 108/383. Le refus de « toute science », « toda ciencia » : « Je suis entré où ne savais / et je suis resté ne sachant / toute science dépassant » , écrit encore Saint Jean de la Croix ( « Entréme donde no supe / y quédeme no sabiendo / toda ciencia trascendiendo », dans la première strophe des « Coplas ». L’éclipse du Je est aussi éclipse de l’objet à connaître. De fait, les deux s’abolissent, pour une « présence qui n’est plus distincte en rien d’une absence », écrit encore Georges Bataille, qui évoque l’expérience poétique ainsi : «  Le poétique est du familier se dissolvant dans l’étrange et nous-mêmes avec lui. » Et ce qui permet encore, en dernière instance, le recueil fragile de « cendres », de « neutre indistinct », c’est la mémoire du déjà-vécu, les anciens engrammes. « [Le poétique] ne nous dépossède jamais de tout en tout, car les mots, les images dissoutes, sont chargées d’émotions déjà éprouvées, fixées à des objets qui les lient au connu. », écrit encore Bataille. Ainsi, Na’in répète Irkoutsk.

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Je reviens et rêve sur cet « Ainsi, Na’in répète Irkoutsk. » qui conclut mon poinçon précédent. Na’in répète Irkoutsk. Ou bien Irkoutsk répète Na’in. Je pense à ce que dit Deleuze sur une répétition qui serait « tournée vers le futur » :

« Il y a des moments où nous ne pouvons pas nous tromper quand nous disons : « Ah mon Dieu, ça c’est nouveau », et que notre stupeur, c’est toujours ce qu’on n’attend pas, par définition… C’est pas ce qui répétera cette nouveauté qui est intéressant, c’est que ce nouveau en tant que nouveau, est la répétition déjà de tout ce qui lui succède. Difficile de penser une nouveauté qui soit comme la répétition de tout ce qui va lui succéder. C’est au sens où Péguy, dans une très belle page, dit : vous savez, vous savez que, vous vous rappelez que, le peintre Monet a peint beaucoup, beaucoup de nymphéas, en d’autres termes de nénuphars. Péguy, il disait, on croit que c’est le dixième nymphéa de Monet qui répète le premier, qui le répète en le perfectionnant au besoin, et bah, c’est pas vrai il disait. Il disait, c’est le premier nymphéa, c’est le premier nymphéa de Monet qui répète tous les autres. De même, il disait, c’est pas la célébration de la prise de la Bastille qui répète la prise de la Bastille, c’est la prise de la Bastille qui répète toutes les célébrations futures. En d’autres termes, la production d’un quelque chose de nouveau, c’est la répétition, mais la répétition de quoi : la répétition tournée vers le futur, la répétition de ce « qui n’est pas encore ». (Gilles Deleuze – Cinéma, cours du 23/11/82 – transcription par Marie Lacire).

Chercher les « nymphéas » et « nénuphars » dans Dâh.

Suivre aussi la piste quantique :

« après la mort de X
langue rouge
langue bleue
retourner sur les lieux
où je suis mort avant X » (5/18)

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Le leitmotiv de la décollation mon(s)tre l’objet « tête », tant décrié : « sa triste tête de chien de BD » (7/23), « ma tête de varan » (7/31), le chant à « tue-tête » (10/46), Varman-Rosée et sa « tête à baffes » (29/95), « Macquet-la-tête, la maxi-tête » (32/112), « j’ai touché à ma tête de con » (36/134), « petit Velho dans ma tête » (39/137, voir 650), etc. L’auteur s’affranchit de la dualité sujet désirant/objet de connaissance désiré par la décollation imaginaire. Il coupe la tête du sujet – enchérissant ainsi sur la troublante diffraction des narrateurs qui effacent le « sujet » de l’énonciation au profit d’avatars. Le Je, l’égo occidental, n’est plus qu’un avatar parmi les autres. De préférence un avatar sans tête : « rester vautré sans tête » (2/11, voir « comment connaître, 2 : trancher à ras »).

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Soth Polin, Long Beach, 2017

C. Macquet retrouve chez l’un de ses auteurs fétiches, le Cambodgien Soth Polin, cette « maladie de la conscience », comme il l’écrit dans sa traduction de quatre nouvelles, publiée en 2017 sous le titre Génial et génital. C. Macquet cite des extraits de Palm Road, de Soth Polin, livre dont le narrateur est « monsieur Kâma », « monsieur Désir » en khmer : « J’avais une malheureuse propension à analyser les infimes détails de mes actes, à “me penser en actions”, précisément à découper tous mes mouvements en portions de gestes, si bien que je devenais totalement paralysé à la perspective d’en faire un » ; « j’avançais toujours en pièces détachées » ; « Même pendant mes actes robotiques d’amour, je ne cessais de m’analyser. Et ma démarche, et tous mes mouvements quotidiens étaient loin d’être une somme harmonieuse, une continuité de gestes naturels, mais bien plutôt une ligne brisée : des fracas, des saccades, des fragments de danse rattrapés de justesse pour éviter la catastrophe. Voilà ce que j’étais : un pseudo-penseur, un “logicien” à la manque qui s’acharnait à se regarder marcher, manger, boire, faire l’amour… Un pantin désarticulé qui se regardait vivre et ne pouvait pas vivre. Mathématicien de ses sentiments, chirurgien de ses mouvements… Je me rappelais pourtant avoir été un fantastique nageur. Dans l’insouciance de ma jeunesse, j’avais souvent traversé le Mékong à la nage. » ; « Mon crawl, remarquablement puissant, soulevait des gerbes d’eau, et je nageais de plus en plus vite, sans ressentir de fatigue » ; « Emporté par la vitesse, je pris soudain mon envol, et tel un oiseau du paradis, je traversai l’azur de part en part » ; « Revenu comme par enchantement sur le sol, au beau milieu d’un champ de maïs, dans une sorte de cabane de Robinson Crusoé, je me mis à écrire d’un seul jet, sans aucun faux pas, sans aucune rature, tout un roman-fleuve, une interminable saga des princes d’Angkor, avec une telle maîtrise, une telle facilité, que je n’en revenais pas moi-même. Jamais je n’avais été si prolifique, si fécond, si créateur. »

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Que C. Macquet cite Soth Polin dans la préface de sa traduction ne surprend pas. Il reste que je suis troublé des lignes retenues, tant elles résonnent avec bien des thèmes de l’œuvre de l’auteur français. Je peux imaginer le choc que cette rencontre littéraire, de l’œuvre et de l’homme, a dû être pour C. Macquet. Je pointe alors, dans les citations qu’il fait de Soth Polin, quelque croisements thématiques. Celui, d’abord, du mouvement immobile ( » Héraclite-Falaise  » , éboulement, «  immobile et déambulant sa fièvre de l’être » , «  cargo, moto, silo, zéro, dodo » , (Dâh, 1/9) – j’écoute la rythmique binaire qui forme décasyllabe, l’avancée sur deux jambes des mots bisyllabiques, tous rimés dans la coda fermée /o/ : la répétition d’un mouvement réductible à zéro, cinq flux d’air continus et coupés, évoquant moyens de transport, abri, sommeil, et rien). Le goût pour la nage dans le fleuve Mékong, que l’on lit dans Dâh (par exemple dans « 94. Une île fluviale », qui croise de même le motif de la cabane isolée :   » [Le chien et Badjouk] arrivent devant une case isolée, à l’orée d’un bois de bambous », 94/296. « Cabane » est un leitmotiv, témoignant du goût prononcé du narrateur pour la solitude («  je dois m’occuper de la cabane en bois et de Sanafech », 7/22 ; «  j’ai loué une cabane de pêcheur, la nuit, elle monte la garde devant la porte » 7/28  ; «  pourquoi voyager si c’est pour être happé par d’autres mâchoires, d’autres roues dentées ? donc il part vivre dans la mangrove, il loue une minuscule cabane sur pilotis, près d’un village », 101/326 ; «  des machins s’accumulent dans sa cabane, des algues noires, des vertèbres de baleine, des écailles de tortue, des nymphes de coléoptères », 101/327 ; «  Les phrases de Srey Mom ressemblent à des rafales d’AK-47 (se protéger, fossettes mutines, cabane de mots) », 106/374). Je retrouve également le vol de l’oiseau de Soth Polin dans la pièce 4 et le vol chamanique du Je («  Quartier du Chemin-Vert / allée Ingres / j’ai presque trois ans / je vole / chaque nuit / comme les Indiens d’Amazonie / je baisse les paupières et je me concentre / je prends mon élan / près d’une espèce de château d’eau aplati / je bats des bras / j’y crois très fort / et c’est parti. », 4/14). Le vol de Soth Polin est aussi tranchant (« je traversai l’azur de part en part ») que celui du poète dans ses vols ras. J’évoquerais encore le thème du naufrage (« Revenu comme par enchantement sur le sol, au beau milieu d’un champ de maïs, dans une sorte de cabane de Robinson Crusoé », chez Soth Polin, le naufrage de l’Amphitrite et tout l’imaginaire qui le borde chez C. Macquet). « L’interminable saga des princes d’Angkor » de Soth Polin trouverait un écho dans l’écriture même de Kbach, Tchoôl ! et Dâh : non dans le terme « saga », qui ne s’applique pas à l’œuvre de C. Macquet, mais dans le profond amour de l’auteur pour la culture khmère. Autre écho perçu dans la préface de Génial et génital, celui de la « tête ». C. Macquet écrit ainsi : «  Aisance perdue, jouissance fossilisée, sentiment d’impuissance, d’irréalité, d’où un irrépressible vague à l’âme, d’où les récurrents épisodes épileptiques, les raptus (agressifs, anxieux, suicidaires), les « amok » poliniens, l’envie soudaine et impérieuse de casser ses jouets, l’envie aussi de se faire casser la tête, siège de la conscience et de l’analyse. » (p. 21-22). Soth Polin apparaît sans doute discrètement dans Dâh, sous les initiales SP : « idée affreuse (rapidement évoquée par SP dans l’une de ses lettres) que Pol Pot, gros cerveau, petite bite, assoiffé de pouvoir, ait finalement réussi son coup : devenir, malgré des moyens extrêmement limités, le Cambodgien le plus célèbre de tous les temps.« , 69/212, et 75/233 : « SP, dans l’une de ses lettres : « [ɗɑh], c’est [ɗɑl ʔɑh] ».

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« Raptus » : « Lat. raptus (v. rapt); en lat. médiév. « ravissement, extase » (Cnrtl). Lien évident avec l’extase évoquée précédemment. Dans la pièce 37, Archibald est le sujet – l’objet, plutôt – d’un raptus devant la « poitrine offerte » de sa « voisine A-lys » : «  Archibald dira, au cours de son interrogatoire, que cette poitrine offerte avait provoqué en lui un raptus et qu’il s’était vu contraint d’emporter la statue, chez lui, au quatrième, elle ruisselait, le corselet délacé, ses bouts gobés avaient cessé de lui appartenir, navette, mouvements coulés, vagin de grès, elle est tout irisée de frissons, elle n’entend pas, je lève mon verre, onctueuses effluences, une crise de possession, une liqueur toute nouvelle, elle est étourdie, brisée, cassée, les paupières déplissées, A-lys, A-lys, belle et déconnectée, pantelante et chavirée, il y a dans mes veines une grande paix. », 37/135. Passage troublant, ici encore, où A-lys est la voisine khmère avec qui Archibald fait l’amour («  coït très intense, sur la table en inox, sans attendre l’imprimatur de ceux qui n’ont jamais caressé la peau mordorée d’A-lys »), où A-lys est toutes les statues de femmes khmères (« en une nuit, elle m’offrit toute la statuaire de son pays »). Le « vagin de grès » est celui de la femme-statue, de la sculpture-femme. C’est aussi la Beauté touchée du doigt, imaginairement pénétrée. Je pense aux quatrains de « La Beauté » du sonnet baudelairien (Les Fleurs du mal, 1857) :

« Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris. »

La figure du sphynx apparait dans Dâh : « Cette non-réconciliation des contraires engendre des « monstres qui, ayant nié l’état de poisson, de lion, d’aigle, se parent des formes de la femme, Sirène, Sphinx, Dragon ». », 47/157 ; « Varman-Rosée (pour lui, ta candeur est sphinge immergée) : A-lys, diminutif de Malys, transcription approximative de [mlih], le jasmin. », 69/209. Dans les deux apparitions, c’est une figure féminine de la mer (« poisson », « Sirène », « sphinge immergée »), descendue de l’azur baudelairien pour la profondeur marine : immergée comme la statue de la Vierge Noire aux Saintes-Maries-de-la-Mer, comme les cent huit victimes de l’Amphitrite.

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©Christophe Macquet

« l’envie soudaine et impérieuse de casser ses jouets, l’envie aussi de se faire casser la tête, siège de la conscience et de l’analyse. », écrit donc C. Macquet dans sa préface du recueil de nouvelles de Soth Polin. C’est là une autre modalité du refus des « jouets », métaphore des activités intellectuelles. Décoller la tête, la casser (séq. 39) à coups de poings de boxe khmère (Kbach dérive de Kach, « briser, se briser »). Bref, frapper le coffre à jouets, celui de l’enfant qui «  donne des coups de pied dans [s]on coffre à jouets. », 4/16. Injonctions répétées qui vont au-delà du seul désir de sortir de l’enfance. Dans « 29. Avine a perdu toutes ses feuilles », le « sujet » Je – j’entends ici le sujet de l’énonciation dans le texte – se dédouble en Archibald / Varman-Rosée, comme on l’a vu dans « du A qui aurait perdu barre«  , où Varman-Rosée prend barre (récupérant celle du A tombée dans le duel) et juge Archibald : «  ne mens pas, s’il te plaît, referme ton carnet, sors la tête de ton coffre à jouets, tu as sciemment négligé les Apsaras de Banteay Srey, le camion Primus bleu à côté du marché, le gazon d’Olympe de la Pointe-aux-Oies, et ces nuits blanches avec Rose, Archie, ces nuits où tu n’étais pas là, ces nuits où, moi, Varman-Rosée, je parlais à l’intérieur de ta coquille vide. », 29/102. Le glissement de l’instance narrative se noue ici à la figure de la noix de coco, avatar tragi-comique de la tête (voir comment connaître, 2 | trancher à ras). Varman-Rosée reproche à Archibald de s’être absenté : noix vide, coffre à jouets, rejouant le jeu de la répétition d’une langue qui parle depuis le vide et à vide. Les « Sélénogrammes de la solitude Avine », pièce 32, déclinent cette tête du « sujet » coupable de tous les maux/mots :

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« Macquet-la-tête » est appréhendé(e) dans l’écriture poétique et l’écriture photographique, d’une écriture astrée sous le signe de Sélène. Ecrits de-sur-avec la lune, hérités de Luna Western, Desde Luna Western, et du livre éponyme Sélénogrammes de la solitude Avine (2013). La photographie de gauche, ci-dessus, est celle qui ouvre Sélénogrammes de la solitude Avine. Même entame. Au-dessus d’un toit, dirait-on, la lune est un point fixe autour duquel et sur lequel l’objectif du photographe va bouger. A l’opposé de ce qui est techniquement attendu pour une prise de vue nocturne (l’immobilité), c’est la trace du mouvement qui est désirée. Ce qui est enregistré n’existe donc pas en tant que tel ; cette lune-là n’a pas existé. C’est le souvenir lumineux de quelques oscillations dont l’axe est l’astre lointain qui subsiste – métaphore de l’écriture.

©Première et quatrième de couverture des Sélénogrammes de la solitude Avine, C. Macquet

Dans le livre original Sélénogrammes de la solitude Avine (2013), les traces blanches tranchent sur le fond noir de la nuit, sur l’ocre fantomatique de l’édifice. Je paraphrase Apollinaire dans le titre d’un des « Poèmes à Lou » : vitam impendere lunae, vouer sa vie à la lune, assez du moins pour écrire les Sélénogrammes, faire de la lune celle qui écrit, puis reprendre la parole – c’est la seconde partie du livre original, intitulée « texte bilingue », où C. Macquet déploie la guirlande de l’arménien et du français, doublant certains vers français d’un vers en arménien. Le texte français est en blanc, le texte arménien en gris, le tout sur fond noir. C’est dire que le lecteur partage l’épreuve de cette nuit des sélénogrammes, forçant le regard à discerner ce qui, dans l’obscurité des pages, fait apparition, comme apparaissent les sélénogrammes de la première partie. Tout est signe sur fond sombre : lire comme on guette la dentelle arménienne, comme on regarde la dentelle khmère dans Dâh, dans le ravissement d’une étrange guirlangue qui ne cesse de nous éloigner d’elle à mesure que l’on veut la comprendre. Lire comme on s’absente, alors ; comme le texte nous absente. La seconde photographie de la pièce 32, extraite elle aussi des Sélénogrammes, fixe l’instant où le photographe saisit la lune entre ses doigts. Il fait ainsi de la lune son « stylet » avec lequel il écrit. La première strophe du poème réfère à l’écriture : « antigramme », « ectoglyphe », « il écrit », « stylet ». De la lune, Avine semble subir une influence, comme Baudelaire, et Verlaine à sa suite, ont placé leur recueil sous le signe de Saturne. L’identification à la lune est cependant partielle, ne s’exprimant qu’au titre d’une métonymie (le trait de lune est « froid comme un antigramme », « froid comme un ectoglyphe Avine »).

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Il n’est nullement question pour l’auteur de Dâh d’une communauté sélénite, comme Baudelaire et Verlaine ont pu appeler de leurs vœux une communauté saturnienne. Non : la solitude est radicale, voulue, assumée, indissociable de l’existence même : «  Deux mois passèrent / la solitude / sur un balcon / Macquet-la-tête / muait Macquet / un soir de décembre 2006 / les yeux fermés / Archibald se mit à tracer des lignes de lune », 32/116. Le photographe a froid parce que la lune est froide : « parce que la lune, à cette altitude / les yeux fermés / parce que la lune, ça ne vous réchauffe pas », 32/114. Le signe n’est signe que si un autre le comprend, nous le renvoie comme signe. Au moins télépathiquement. Relève du signe (terme hégélien). Chaleur de la signification naissante  : « parce que le commencement du monde est chaud / tit’ mèr’ / le commencement du signe, aussi / c’est ce qu’on appelle l’en-retour / ou la chaleur-télépathie / de distance en distance ». De l’auteur à la lune, trop grande est la distance. La sélénographie est écriture à l’aveugle avant/après le commencement des signes. La lectrice « tit’ mèr » est celle qui, avant tout le monde, après tout le monde, aurait pu, ou (sait-on jamais) pourrait lire : « elle attendait la fin de l’hiver, les yeux fermés, lisant les yeux fermés » , 32/118. Cette lectrice, disparue, devient la destinataire des antigrammes, tracés alors que le corps de l’auteur est traversé, en plein été austral, de froid et de solitude : « c’était l’été austral / il y avait des lueurs, des envies d’incendie, des germinations de sang chaud dans l’obscur / Archibald, le jeune Archibald / Il y avait des violets profonds, des appels à ressusciter / les yeux fermés / il y avait, comme on dit, des ciels / sur un balcon / il avait froid / parce que l’écriture, à cette altitude / l’enrage Avine / parce que l’écriture, ça ne vous réchauffe pas » , 32/116.

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Ce que le lecteur découvre en lisant les Sélénogrammes de la solitude Avine, ce sont donc les traces kinésiques et lumineuses d’une antiécriture. L’antigramme serait le revers du gramme (le  γ ρ α ́ μ μ α  grec, la « lettre »), qui ne peut s’écrire qu’au moyen d’une technique différente de l’écriture habituelle : le dispositif appelé « sélénogramme », fixer la lune dans l’objectif devenu satellite de la lune, déclencher, imprimer et insérer dans les Sélénogrammes et dans Dâh. Une telle sélénographie se fait à l’aveugle, « les yeux fermés ». Le photographe se prive de la vue, laissant ainsi libre cours aux mouvements du corps, nés loin dedans. Ce qui est écrit de la sorte réfère à la fois à une image, découverte après coup, de ce que l’auteur n’a littéralement pas vu, et à la lettre, que l’auteur veut autre. Imaginaire de l’image, symbolique de la lettre : à la fois opposées, car l’image est voulue comme antigramme, et complémentaires, car la pièce entière repose sur l’alternance texte/image. Les photographies apparaissent en cinq cartouches de deux photographies en noir et blanc, reprenant le format en double page de l’édition originale en couleurs des Sélénogrammes. Chaque paire fait intervenir le corps de l’auteur : l’index et le majeur (paire 1, page 112), la tête (paires 2 et 3), les mains (paire 4), le cou (paire 5). Le corps métonymique de l’auteur. Les mains qui écrivent, la tête qui ne voit plus et, peut-être, ne pense plus. Je vois, dans la photographie de gauche page 113, la lame d’un toit en pente prête à décoller la tête, d’ailleurs floue, laissant voir un deuxième visage en surimpression : tête rémanente. Du haut de la tête s’échappe un cône lumineux – à moins qu’une lune térébrante ne vienne s’y planter. Je compare cette image à celle de droite, page 118 : cou offert à la décollation – c’est la photographie retenue par l’auteur pour la couverture des Sélénogrammes – une tige lumineuse suit la ligne de cou tendu. Le « soleil cou coupé » d’Apollinaire est renversé en « lune cou coupant » – ou peu s’en (faux) faut. Du reste, le cadre inférieur suffit à renchérir sur le col du tee-shirt. La tête n’en finit pas d’être coupée, en un immobile mouvement aveugle. L’auteur a prêté son cou à l’objectif – au coup de la coupe, comme Phillipe Dubois désigne l’acte de déclencher l’appareil photographique.

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Significativement, cette sélénographie s’enracine à Tandil (séq. 38), lieu perdu dans la pampa argentine, lieu de l’oubli d’un Gombrowicz, lieu du massacre des Indiens dans la « Conquête du désert » décidée par le général et futur président Julio Argentino Roca, pour s’emparer de la Pampa et de la Patagonie Orientale. Les ectoglyphes parlent la langue des morts, les Mapuches exterminés. Aussi faut-il bien prendre la mesure de cette entreprise scripturale d’avant les lettres. L’auteur y revient avec la distance géographique et temporelle nécessaires à une appréhension plus fine du rôle qu’ils jouent dans Dâh : « Bon, ce texte, qu’en dire ? il m’a surtout permis de comprendre ce que signifiaient ces photos, Tandil, Noël 2006, les Sélénogrammes, glyphe indien, calligraphie imparfaite, élémentaire dans la nuit, je ne savais pas avant, je vous assure, je sentais qu’il y avait « anguille sous le ciel », mais j’étais incapable d’en dire quoi que ce soit, il m’a fallu aller chercher l’expression au forceps, détruire (rage et retour) tout ce que j’avais écrit à plusieurs reprises (essai sur la photographie, récits distanciés sur ma mère, sur la Conquête du Désert), ça n’allait pas, trop cérébral, trop linéaire, et puis l’ostentation, la prédation, même avec l’air de ne pas en croquer, j’ai pu finalement sauver quelques bribes, quelques formules tendues, j’ai beaucoup appris avec ce travail, j’ai compris où naissaient les naissances d’Avine, j’ai touché à ma tête de con. » 36/134. C. Macquet livre ses réflexions de l’auteur au travail, dans une adresse directe au lecteur. Réflexion, à nouveau sur la forme à adopter pour aborder la question de l’autre. Et de l’autre disparu (les Indiens exterminés dans un génocide, le guide Chelemín, voir 37). De tou(te)s les autres disparu(e)s, à qui Dâh s’adresse en premier lieu.

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Au revers de la lettre, l’ « antigramme » lumineux, l’ « ectoglyphe ». L’antilettre permettrait de rendre compte d’un antisavoir, de la nescience évoquée plus haut. Nescience dont on a vu qu’elle s’inscrivait tant sur la surface que sur la profondeur. Car le glyphe est une inscription en creux. L’ectoplasme est une émanation visible produite par l’auteur-médium. L’« ectoglyphe Avine » est sur le fil : je vois sur les photographies des Sélénogrammes la matérialisation, sous forme lumineuse, d’une écriture spectrale :

extrait de Dâh, page 114, ©C. Macquet

lettres fantômes (ne serait-ce pas un « a », page 114 ? « a » pour Avine, A-lys… comme le retour involontaire et spectral de la gramma ? ) pour une antiécriture en aveugle ; qui creusent de leurs courbes la représentation iconique. Page 114, le médium parle, ou laisse s’échapper de sa bouche un ectoplasme qui restera tu. Avine, cet effet-personnage, descend encore d’un cran dans la réalité de son existence : c’est un ectoglyphe, la trace laissée en creux sur la photographie et dans le texte d’une présence disparaissante – à l’instar de tous les avatars (Varman-Rosée, Archibald, Je : «  l’écrivain va crever, bon, c’est pareil à toutes les époques, il doit se coltiner la chute des nécessités, un milliard de fantômes l’assiègent », 29/99, Marie dans la nouvelle « L’erreur » : «  il regarde encore l’autre, inanimée devant lui, moins qu’un fantôme, il hoche la tête en pensant tout bas, tout bas, comme s’il craignait que la maison n’entende, qu’est-ce qui m’arrive, mon Dieu, quelque chose a changé », 16/63) . L’auteur-médium fait bel et bien revenir Avine, dès la pièce 1 : «  1. Avine revient – Kampot, juin 2016 ». D’où revient-il ? D’entre les morts, bien sûr. C’est la première épigraphe qui l’affirme au seuil de Dâh : «  « Prends ma figure et donne-moi la tienne / prends ma figure, ma figure malheureuse / donne-moi ta figure / avec laquelle tu reviens / quand tu meurs. » (Prière à la lune, chant bushman) ».

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Je vois là une transverbération du corps de l’auteur par ce « stylet » de lune, qui le traverse de part en part, qui l’inscrit, par sélénogramme, sur le papier. « Avine » transverbéré devient « ectoglyphe Avine ». « Transverbération, subst. fém., littér. Action de transpercer, fait d’être transpercé. […] Grâce mystique spéciale, accordée à Sainte Thérèse d’Avila, qui voyait un séraphin lui transperçant le cœur avec un dard enflammé (d’apr. Foi t. 1 1968) », Cnrtl. Le personnage, les bras en croix, qui apparaît sur la couverture de Dâh, rappelle bien sûr un certain Christ crucifié. Nom de l’auteur, titre, éditeur, sont aussi des sélénogrammes, coups de stylets lunaires – le « l » logo de la maison d’édition « lurlure » n’est pas qu’une consonne. C’est un sélénogramme sans le savoir. Par sélénomancie, « il y a Lulu dans Lurlure » , 39/138. Dâh anticipait le nom de la maison d’édition qui allait le publier. Dit autrement : la maison s’est appelée Lurlure parce qu’elle devait publier Dâh des années plus tard. Paradoxe temporel. L’après devenant cause de l’avant. Aussi difficile à saisir qu’une « répétition tournée vers le futur » (c’est le premier nymphéa qui répète tous les autres). Desde Luna Western a ainsi absorbé l’éditeur (bien réel) Américo Cristófalo (« XVII. parce que c’est une machine à secrets, une machine à soufflets, une machine aspirante (Américo Cristófalo, mon éditeur, est d’ailleurs devenu, sans qu’il s’en rende compte, un personnage inventé par Lisandro LLano)/« (p. 69).

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Dâh est une histoire de fantômes. Dans « 31. Toast à Lusine – Quartier « Bangladesh », Noël 2013 », le Je porte un toast à Lusine, qui signifie « lune » en arménien, et qui peut aussi se lire comme le diminutif de la fée Mélusine : «  à toi, je respecte (chair et spectre) », 31/110. La photographie insérée représente une main tendue vers la lune, haute derrière des grilles : imploration de la lune.

Des vaisseaux-fantômes apparaissent, évocation inquiétante de l’Amphitrite perdue corps et biens devant Boulogne, ou : «  le ketch lancé à Boulogne-sur-Mer (chantiers Lefèvre) en avril 1912, devenu vaisseau-fantôme en Polynésie », 59/193 ; ou un «  village fantôme, au loin », 7/27 ; ou «  l’ombre du Fokker 50 sur les nuages, un arc-en-ciel, avion-fantôme », 27/86.

source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Île_Léon_Lefèvre

Avant de devenir vaisseau fantôme, le ketch La Curieuse fut un navire construit par Léon Lefèvre, arrière-grand-père de l’auteur C. Macquet : « navire aux Kerguelen, quarante-septième naissance d’Avine, sous le commandement de Rallier du Baty, qui donnera le nom de Léon Lefèvre à l’une des îles de l’archipel« , 59/193. Je rêve encore à cette île des Kerguelen : que cela fait-il, de savoir qu’une île porte le nom d’un bisaïeul ?

http://odysseeaustrale.unblog.fr/la-curieuse/

Hugo Pratt, dans Odyssée australe, prête à son héros Corto Maltese l’intention de racheter le voilier à Melbourne. Il passe d’abord non loin de La Curieuse, amarrée à quai, dans les docks de Melbourne.

©Hugo Pratt, Odyssée australe, page 3b
©Hugo Pratt, Odyssée australe, page 5d

Quel voyage : de Boulogne à Melbourne, du bisaïeul de l’auteur C. Macquet, Léon Lefèvre, à Corto Maltese, qui pour peu rachète La Curieuse en 1915.

https://drouot.com/l/18608451-maquette-en-bois-et-metal-du-k

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source : https://www.farsettiarte.it/photos/auctions/xlarge/74723.jpg

La sélénographie est sans doute l’un des moyens de sortir la tête du coffre à jouets : «  Macquet / Macquet / sors la tête de ton coffre à jouets / », 32/114-116-118-120, quatre injonctions pour se débarrasser de la tête. Il faut évoquer, dans Tchoôl !, la décollation d’Olivier le Troisième : « encore un masque, qui trop se mire, psalmodie mon corps de Glorabortel, infigurable, trois petits tours et très-très-tréponème, cyberavine, manœuvrons nos monomadismes, après la décollation d’Olivier le Troisième, à-la-tache-à-ma-tâche, désœuvrons nos monadonismes et nos conjonctions de misères  » (p. 79). Allusion à un tableau du peintre abstrait Georges Mathieu, né à Boulogne-sur-Mer, Olivier III décapité (1958) : courbes interrompues, coulures de peinture noire, évocation indirecte de la décapitation. La citation de Tchoôl ! évoque l’excès de la tête (« trop », « très-très »), les condensats (du monadisme au nomadisme, où /mona/ se mire en /noma/, en hédonisme). L’infigurable est ce qui échappe au savoir de la représentation. Le « corps de Glorabortel » est infigurable : objet de non-savoir, mais des sons, des sens qui fusent : « Glo » (qui m’évoque « Glu et Gli » de Michaux : « Et glo / et glu / et déglutit sa bru / gli et glo / et déglutit son pied / glu et gli / et s’englugliglolera. », Qui je fus), « Gloire à Bortel », « Bordel », « Brodel », « Abhorre-t-elle », « aborte/avorte-elle  » : ces derniers signifiants peuvent faire allusion à la gloire avortée du corps « littéraire » de l’auteur de Dâh : gloire morte dans l’œuf [OEUF/VRE]). Quant à « Brodel », c’est un personnage rencontré dans Tchoôl ! (« depuis que Teresa baise avec le gros Charles », p.12) et qui revient dans Dâh ( « l’histoire du suicide de Brodel » , 3/13 ; « on dit qu’il [le chien Tino] se fit déchiqueter un après-midi de novembre par les deux rottweilers de Charles Brodel. » ,7/22.

Le nom « Glorabortel » revient une fois dans Dâh : «  j’ai l’impression que je vais avoir une attaque, c’est décidé, j’arrête de boire, ça fait un mois et demi que je végète ici, Sacabrun et Glorabortel, ça suffit, je me redresse et me verse le fond de la bouteille sur la tête, malheur aux poux, malheur à ceux qui vivent avec nous. », 101/339, accompagné de Sacabrun (voir séq. 35). Corps de sons et d’éthanol antipoux comiquement versé sur la tête.