Françoise Renaud, Bois d’azobé (naissance d’un personnage), 2021
Pages 89 à 99
A écouter dans les podcasts de L’Œil a faim
Ou sur Spotify
N’hésitez pas à écouter les 3 premiers épisodes
Françoise Renaud, Bois d’azobé (naissance d’un personnage), 2021
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330. Un peu rasséréné par l’œuvre de Pesquès (il est venu au moment où cela importait) dans mon appréhension et mes manquements (ou supposés tels) au chantier en cours. Reprise de la lecture de Soldats en Algérie de Jauffret, que je trouve décidément excellent. Je repère dans la grande histoire les petits faits vrais dont je pense que mon père a pu les vivre, ou en être témoin.
331. Ai achevé Bois d’azobé de Françoise Renaud : c’est un livre magnifique, lu d’une traite. Magnifique à plus d’un titre : la fluidité, la sensibilité. Mais surtout, le lecteur est pris par la main, et assiste au livre en train de se créer sous ses yeux, doublement : dans la lecture même, qui fait advenir le texte, et dans le thème choisi par F.R. : comment, à partir de si peu, le livre va surgir. Tout en retenue, en humilité. Les niveaux de réalité se mêlent harmonieusement : le récit du livre en train de se faire, l’histoire qui naît et peu à peu s’agrège par petits pans fictionnels, celle d’un jeune garçon noir, jusqu’à l’épiphanie au chapitre « Les mains noires », p. 89, qui ne ponctue pas la fin du livre pour autant :
Tout de même il me manquait un mot, un mot pour décrire ce que je ressentais de la peau, un mot capable de réunir sens et musicalité, un mot de ralliement, de reconnaissance qui pourrait rester attaché au personnage et peut-être même le définir pour la suite. […] Et puis ça m’est tombé dessus…A partir de là, le texte a coulé.
Force du mot qui permet à la langue son flux. Prégnance d’un signifiant-maître, qui a la vertu de concentrer the world in a nutshell, tout l’univers du livre en quelques signes : azobé. Le mot va irriguer en aval le texte, mais l’irrigue déjà en amont : ni l’autrice ni le lecteur ne le sait encore consciemment. En contrepoint, F.R. utilise une graphie africaine, l’alphasyllabaire ge’ez semble-t-il, utilisé en amharique ou en tigrigna, parlée en Ethiopie et en Erythrée. (A vérifier auprès de F.R.) Vertu d’écrire sur la page une langue inconnue de moi : trouer le texte français, faire soudain vaciller la compréhension – j’en suis réduit à conjecturer ce que les lignes en ge’ez peuvent dire – au profit d’un autre lieu, d’une autre culture. C’est finalement la 3e strate du texte, qui nous restera celée, dans le noir de l’encre et dans le noir de la peau couleur bois d’azobé. Dispositif accentué par le carnet du jeune garçon, qu’il garde précieusement sur lui et cache sous une natte : le carnet que le maître d’école d’Awasana lui a donné, et sur lequel il apprend à écrire. Et je vois soudain que les lignes laborieuses écrites en ge’ez sur le carnet par le jeune garçon reflètent les lignes écrites en français, celles-là mêmes qui font exister la 3e strate, dans une mise en abîme subtile – car le texte est subtil et jamais démonstratif. Au final, Bois d’azobé raconte autant la naissance d’un texte qu’il interroge les ressorts de la création littéraire, consubstantielle au corps. En exergue, on lit une citation de Rilke :
Il faut que vous laissiez chaque impression, chaque germe de sentiment, mûrir en vous, dans l’obscur, dans l’inexprimable, dans l’inconscient, ces régions fermées à l’entendement.
Ce texte incarne aussi les mots de Nicolas Pesquès : Le corps est devenu grammatical.
332. Zoom T L très intéressant hier. Entre autres, est relancée la participation au Dictionnaire du comment écrire, chantier lancé il y a quelques mois déjà sur le Tiers Livre. Je commence à jeter quelques notes concernant des entrées qui m’intéressent.
333. Retravail de pages d’Algérie, passage au tu acté.
323. Problèmes d’accès à l’administration de mon site, problèmes d’accès à internet. Les réalités du monde tangible et moins tangible. Arcanes du net, du code. Chat avec un technicien de WorpPress, très réactif. L’un des problèmes est en train d’être traité.
324. Article du 10/12/21 dans Le Monde :
Guerre d’Algérie : la France va ouvrir ses archives sur les « enquêtes judiciaires » avec « quinze ans d’avance »
C’est ce qu’a annoncé la ministre de la culture Roselyne Bachelot. En mars, Emmanuel Macron avait déjà décidé de « faciliter l’accès aux archives classifiées de plus de cinquante ans », couvrant la période du conflit.
Excellente nouvelle.
325. Retour à la question de l’autre scène. La souricière pour avérer la réalité d’une autre scène prend bien des formes…Plusieurs choses bruissent ici, que j’essaie de démêler. a) je m’identifie à mon père en rejouant la scène du projectionniste, grâce au même projecteur, et en écrivant un chapitre sur le projectionniste– b) je m’identifie en jouant à être lui le temps de la projection, que je prends à la lettre et au sens psychologique- c) je mets à distance par ce qu’en écris, ici et dans le livre Algérie- d) mon père nous (et se) projetait une Algérie pacifique, figée dans la minéralité des décors, des poses convenues de soldats ; il abhorrait la guerre et son cortège de cauchemars- e) je (me) projette un miroir où accrocher une image (le militaire sur les différentes photographies)– f) mais il y a aussi l’identification plus mystérieuse (…) à l’objet du désir comme tel, a – g) Lacan parle ici de l’objet qui vient à disparaître (dans Hamlet, l’objet de désir perdu est Ophélie, folle de douleur d’avoir perdu son père Polonius, et qui se noie en voulant cueillir des fleurs), Lacan ajoute (p. 48) c’est dans la mesure où, comme objet, il vient à disparaître que s’impose la dimension rétroactive qui est celle de l’imparfait sous la forme ambiguë où il est employé en français, et qui donne sa force à la façon dont je répète devant vous l’Il ne savait pas. Cela veut dire à la fois Au dernier moment, n’a-t-il pas su, et Un peu plus, il allait savoir. Ce n’est pas pour rien que le désir en français vient de desiderium. Il y a reconnaissance rétroactive de l’objet qui était là. -h) je me bats avec l’imparfait du désir i) pour de nombreuses raisons, certaines inconnues de moi, mon père et moi nous sommes ratés (dans les silences et les refus)- i) peut-être, dans une réciprocité spéculaire, je n’ai pas (ou plus) voulu le reconnaître, me sentant moi-même ignoré bien des fois (ce qui n’était peut-être pas son intention, mais situation vécue comme telle, enfant), sans cesse en demande d’amour. Reste à voir maintenant comment l’angoisse s’articule dans ces rapports.
326. Je fais la connaissance en chair et en os de Françoise Renaud, auteure qui fréquente entre autres le Tiers Livre, , au salon littéraire « Les beaux livres au Domaine », à Saint-Clément de Rivière où elle m’a invité. Ambiance des salons : tables où les livres et leurs auteurs se reconnaissent, discutent, attendent leurs lecteurs, c’est chaleureux et il faut ça pour combattre les températures rien moins que clémentes. Longue discussion, nos parcours, et les livres bien sûr. J’emporte son dernier en date, Bois d’azobé. Elle a de très nombreux livres à son actif. Plaisir de retrouver ses pairs. A la table d’à côté, Paul Coudsi, ancien journaliste, graphiste, écrivain, réalisateur de film d’animation. Et Marc Ely (j’échange un Archéologies contre son livre Pandémies et autres facéties, publié chez Ubik-ART, dans une maquette qui reprend la Gallimard Noire ! ). Tous deux esprits caustiques, on se marre bien, et les feignasses de libraires en prennent pour leur grade. Expos en vue à Montpellier : sortie de la collection « Grands esprits Petits prix » le 15/12, galerie Marc Devaux, des éditions UBIK-ART. Leurs cahiers VIRTUEL sont magnifiques. Quant à Paul Coudsi, il expose 150 photos en noir et blanc qu’il a retrouvées dans un cagibi parisien. Alléchant.