Voici la 10e et dernière proposition du workshop De la littérature comme un art nucléaire pour D-FICTION. Il s’est agi ici non pas tant de boucler un cycle (je continue d’écrire sur ce thème) que d’expérimenter une voie différente des précédentes. Pour faire bref, quel artéfact obtiendrais-je en écrivant une fiction nucléaire selon le modèle théorique de la fission nucléaire ? Manière de mettre en lumière l’un des fils qui m’ont guidé tout au long de ce chantier : rapports entre fiction et histoire, entre texte écrit et images, tous traversés par l’imaginaire de la chose nucléaire. Vous découvrirez ainsi, mêlés, textes poético-scientifiques et une (très) courte expérimentation filmée.
Regard rétrospectif sur les trois années écoulées :
Le premier texte, publié le 15 mai 2022, évoque l’épisode du 1er tir nucléaire français en Algérie (Protocole Gerboises), où j’indique en sous-titre les éléments périodiques de Mendeleïev, éléments que j’associe à un élément poétique (Si pour sirocco, Lv pour levêche). Je continuerai ce dispositif jusqu’à la proposition 6.
2e contribution : Protocole de 東 / 京 (To / Kyo). Texte qui mêle Histoire universelle et histoire intime. Mon « tableau périodique » physico-poétique reprend les thèmes majeurs du texte. Le titre reste mystérieux à dessein. La barre sépare les deux idéogrammes qui signifient « Tokyo ». La mise en page originale (que l’édition en ligne n’a pas permis d’adopter) présente le poème sur deux colonnes séparées. Le thème sous-jacent, bien sûr, est l’expérience de la schize, de la catatonie, de la psychose, autant de fentes, refentes, vécues dans la chair du texte.
La 3e proposition, Protocole Levi-Arai, s’intéresse au Système périodique de Primo Levi (autant par amour pour l’écrivain, que par l’inspiration que son livre a pu me donner sur la manière d’aborder le thème de la radioactivité à distance), ainsi qu’à l’artiste (japonais, bien sûr) Takashi Arai, dans la série qu’il consacre à Fukushima. Arai n’utilise pas l’appareil photographique, mais la difficile technique du daguerréotype, déplaçant imaginairement l’irradiation nucléaire vers l’irradiation solaire. Il appréhende la catastrophe nucléaire du 11 mars 2011 avec un outil de 1850, rabattant ainsi la technique immaîtrisée de l’atome sur celle, à hauteur d’homme, longue et patiente, du daguerréotype. Je tente, à ma mesure, une démarche analogue, en illustrant le texte d’une gravure sur bois, où je mets en scène un homme en scaphandre NBC en train de se décontaminer, avec un titre ironique, « Plutôt ni homme ».
Le Protocole Quap de Wells, 4e contribution, est né de mes lecture de H. G. Wells, particulièrement d’un roman un peu oublié, Tono-Bungay (1909), et The World Set Free (1914), où l’expression « bombe atomique » apparaît, semble-t-il, pour la première fois. Intuitions saisissantes de Wells, qui anticipe le phénomène de réaction en chaîne (le physicien nucléaire Leo Szilard déclarera, en 1932, que l’intuition de Wells lui a permis de mettre en application concrète la réaction nucléaire auto-entretenue). Dans le roman Tono-Bungay, Wells évoque une matière mystérieuse et dangereuse, le quap, qualifiée de « la plus radioactive du monde ».
Les 5e et 6e propositions (Le Musée de l’avenir et L’herbier nucléaire) imaginent les Sarcophages, salles d’un musée du 21e siècle, inspiré de ma lecture de Sarcophage de Pierre Christin et Enki Bilal. Je place, comme eux, une salle dans le sarcophage protecteur du réacteur de Tchernobyl, une autre (de mon invention, cette fois), à 500 km de là, sous la centrale de Zaporijia, dont j’imagine qu’elle a subi la fusion de son coeur suite à un bombardement russe durant la guerre actuelle. Guidé par la voix de Günther Anders, philosophe de la morale et de la technique, le visiteur va peu à peu s’enfoncer dans un manière de spectacle total & radioactif. Sous les auspices de Kenzaburô Ôé et ses Notes de Hiroshima, le visiteur poursuit sa visite d’un herbier nucléaire qui existe bel et bien, c’est l’oeuvre de Michael Marder – réflexions philosophiques sur l’atome – et les rayogrammes d’Anaïs Tondeur (les plantes de Tchernobyl font un herbier radioactif).
#7 : j’explore le fantasme du Point zéro, là où l’explosion nucléaire a eu lieu. J’évoque Jacques Roubaud et son expérience, en tant que militaire, d’un tir nucléaire français en Algérie (écho des 1er et 8e textes). J’aborde la notion d’ « hyperobjet » qu’a forgée le philosophe britannique Timothy Morton pour appréhender le fait anthropologique total du nucléaire, et poursuis avec Jean-Marc Royer et son Monde comme projet Manhattan.
Le texte 8, Défections...de l’espace et du mot, tente de saisir comment les artéfacts commémoratifs à Nagasaki ratent la commémoration. Retour, aussi, sur ma lecture du récit L’Expérience de Christophe Bataille, militaire cobaye à 20 ans, durant le tir Gerboise verte au Sahara.
#9 : L’éclair blanc & la Baleine blanche fait un focus sur Fiskadoro, roman de Denis Johnson, et l’ombre de Moby Dick de Melville, sur fond, encore, de schize : Fiskadoro subit une mutilation rituelle, Achab porte une zébrure mystérieuse.
10e et dernière proposition, donc : Fission d’une fiction, où je tente une expérimentation, écrire une courte fiction (« Nuclear Mishap », histoire réelle d’une tragédie évitée dans la réalité, extrapolée fictionnellement de manière tragique), et utiliser un dispositif qui mime la réaction en chaîne auto-entretenue, filmée.
Merci à D-FICTION d’avoir publié, du 15 mai 2022 au 1er mai 2025, ce workshop « d’écriture dystonucléaire », selon leur belle expression ! Je poursuis l’aventure de mon côté : vous entendrez bientôt parler de ces fictions dystonucléaires… Merci à vous qui me lisez !

Laisser un commentaire