EPISODE 2/8 | « Ce qui compte, ce ne sont pas les choses, n’est-ce pas ? c’est la façon de les dire. »

Une lecture estivale et épisodique de The Voyage Out, Virginia Woolf

Rachel va consacrer la traversée et son expatriation à démentir le propos de Lucy : à rebours de sa tante, elle va se demander comment on aime et ce que c’est qu’aimer.

LEuphrosyne va prendre à son bord un couple, Richard et Clarisse Dalloway (première apparition de Mrs Dalloway, avant le roman éponyme de 1925). Conversation entre Richard et Rachel : « Comme c’est peu, somme toute, ce qu’on arrive à raconter de son existence ! Nous voici tous les deux face à face, pleins à craquer, sans nul doute, d’expériences, d’idées, d’émotions du plus haut intérêt. Mais le moyen de les communiquer ? Ce que je viens de vous dire, c’est ce que pourrait vous raconter le premier venu. – Je ne trouve pas, dit-elle. Ce qui compte, ce ne sont pas les choses, n’est-ce pas ? c’est la façon de les dire. » (chap. IV). V. Woolf prête au personnage de Rachel rien moins que sa définition de la littérature : combler l’abîme de l’incommunicable en prenant acte de l’existence du monde, de sa matérialité : l’ontique.

C’est au vingtième chapitre, sur les vingt-sept du roman, que Rachel et Terence, qui participe aussi à la traversée, vont s’avouer leur amour. C’est une scène cruciale à plus d’un titre. Au terme d’une expédition fluviale (« Quand ils se réveillèrent le matin, le bateau avait déjà remonté le fleuve sur une bonne longueur ») qui évoque Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad (1899) – même point de départ géographique dans les deux romans, l’estuaire de la Tamise ; même quête de sens pour Rachel et pour Charles Marlow – le couple Rachel-Terence va s’isoler pour se promener en forêt, moment que Terence qualifie de « décisif ». C’est l’élément aquatique, leitmotiv du roman, qui se surimpose à la végétation tropicale : la mer, métaphore probable de la vie intérieure où les mots n’ont pas encore pris forme : « A mesure qu’ils s’enfonçaient dans les profondeurs sylvestres, le jour s’obscurcissait et aux bruits ordinaires du monde se substituaient ces craquements, ces soupirs qui donnent au voyageur le sentiment de marcher au fond de la mer. » Non tant la marche horizontale que la verticale océanique. Les hautes frondaisons résonnent du même bruit que le fond de la mer : « Dans les hauteurs, soupirs et craquements (…) ». Cet environnement sonore contraste avec le silence des deux jeunes gens : « Accablés par le poids du silence, l’un et l’autre étaient d’ailleurs incapables de prêter une forme à leurs pensées. »

A suivre, épisode 3 : Avouer, c’est se désavouer


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Réponse

  1. Avatar de Emmanuelle Malhappe

    C’est brillant !

    J’aime

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