Écouter la pièce à côté (Diverted traffic 2/6)

Indice : l’analogie entre « habitat » lacanien et « topos » de Grothendieck. En 1966, sur France Culture, Lacan déclare : « L’inconscient n’est pas la pulsation obscure du prétendu instinct, ni cœur de l’Être, mais seulement son habitat. » Ce qui fait suite à une entrevue de 1957 publiée dans L’Express, où il disait : « Et ce lieu, cet en-dehors du sujet, c’est strictement ce qu’on appelle l’inconscient. […] Le langage est-il l’essence de l’homme ?…C’est d’un autre ordre et, comme je le dis parfois, c’est la pièce à côté. » Les italiques (j’ignore si elles sont de Lacan lui-même ou des deux auteurs, Alain Connes et Patrick Gauthier-Lafaye) maillent une chaîne signifiante : « en-dehors du sujet – pièce à côté – langage ».

À laquelle on ajoutera l’hypothèse que les deux auteurs veulent démontrer, pour mailler le tout avec Grothendieck : « L’inconscient est structuré comme un topos. » Topos remplace langage dans la citation bien connue de Lacan. Voilà qui m’aide un peu. Il s’agit maintenant de comprendre ce que recouvre le mot topos pour Grothendieck, car s’il recoupe en partie langage, il ne s’y réduit pas. Et, au passage, saisir ce mouvement de détour, ce diverted traffic  ou cette diversion, qui m’a rappelé une photographie que j’ai prise à Londres. Détourner un flux pour mieux en saisir un autre, jusqu’au point d’adsorption ou d’absorption – et cette dynamique me semble être – vous me corrigerez le cas échéant – celle de la recherche de la vérité, qui se cacherait dans la pièce à côté.

Regardez bien là où vous regardez (la lettre volée), écoutez la pièce à côté.

Attention.

Détour 1

(M)’abuserais-je en disant que j’écris pour ne pas devenir fou ? Est-ce excessif ? trop grandiloquent ? Ou, au contraire, éminemment juste, si je me souviens que le Nom du Père permet le partage du sens par tous, et que donc m’est un garde-fou l’espérance que je serai lu ? Grandiloquent, non, ou à mon corps défendant. Peur, oui : possible symptôme hystérique, à coup sûr refuge entrevu face à des évènements que je ne pouvais encaisser. Les écrire, ou tenter de le faire, c’est un essai de saisir des impressions flottantes, désarrimées du corps ; de dire une résistance au discours psychotique que l’on tenait face à moi – sans bien savoir à qui il s’adressait, ce discours, mais je l’ai pris pour moi, étant la seule personne physique assez proche pour l’écouter, sinon l’entendre – de récupérer des restes épars, pour les agencer dans une dysnarration dont le poème TÔ/KYÔ (à paraître) a pu prendre une forme. Là encore, il s’est agi de « chercher [m]a vérité », selon le mot de Lacan.

Et subissant les bouffées délirantes qui m’assaillaient, « pressé / jusqu’à la suffocation / en moi / de l’idée de corps / et d’être un corps », dit Antonin Artaud, j’ai fui, j’ai pris les jambes à mon cou, ce qui est physiologiquement impossible pour moi qui ne suis pas contorsionniste, j’ai détalé quand j’ai senti l’obscénité de la situation, et j’ai tenté d’écrire pour repousser l’épouvantement. Et dans tout cela, la « vérité » recherchée est hasardeuse, labile, nuancée. Puisqu’à la réflexion, écoutant les mots fous, qui ne circulaient pas comme les miens, et me liaient, j’écoutais ce qui se disait dans la pièce à côté. Et de façon un peu moins aiguë aujourd’hui, écrire est ce qui me borde.

J’entends accoté : « soutenu par contact ». L’analysant et l’analysé sont accotés. Ils ne se voient pas toujours mais s’entendent, et s’entendent au moins sur ceci : pourquoi votre souffrance ?


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