Écouter la pièce à côté (Diverted Traffic 5/6)

Mais quel est le lien entre topos et langage ? Rappel de P. Gauthier-Lafaye (PGL) : « …la fonction paternelle [est la] fonction tierce introduisant un ordre dans le charabia né de l’utilisation chaotique ou arbitraire de ces mots […], [elle] introduit à un temps discontinu qui est différent de celui de la physique […], au temps d’une possible énonciation de la vérité. […] Elle consiste essentiellement à séparer l’enfant de la jouissance de la mère en le contraignant à utiliser un langage qui fait de la place à un tiers, le délogeant ainsi de son narcissisme primaire […] et introduit de l’autre dans une relation qui devra dorénavant se construire avec des mots.»

Dans le topos, la fonction père pourrait « établir progressivement dans l’évolution de l’enfant ses “ valeurs de vérité ” qu’il découvrira au fur et à mesure qu’il manipulera plus d’objets courants (sur la scène) et risquera d’affronter à chaque pas la sanction paternelle. », ajoute A. Connes (AC).

Je ne saisis toujours pas le rôle du topos dans le schéma d’ensemble. Je poursuis ma lecture.

Un autre rappel de PGL : le langage ne peut rendre compte que du refoulé de l’inconscient, et non de l’inconscient lui-même. Le langage serait donc un aspect de l’inconscient, c’est-à-dire un « topos de l’inconscient », dont il est question dans une cure. S’il n’est pas forcément question au terme d’une cure, de « guérir », il s’est agi, au moins, d’essayer de modifier le rapport que le sujet entretien avec sa souffrance. Le concept de topos permettrait, ajoute PGL, de situer le trauma, dont l’effet est de neutraliser le système signifiant et ainsi d’empêcher son analyse.

Grothendieck découvre en 1984 qu’un livre paru deux ans plus tôt sur l’une de ses idées majeures (celles des « motifs »), développée entre 1963 et 1969, ne le crédite que de manière négative : la théorie développée n’a rien à voir avec Grothendieck. Pour le mathématicien, le coup est rude. Contre son propre effacement, il va écrire Récoltes et semailles (qui attendra 36 ans avant d’être publié en librairie).

Si je comprends bien, le concept de topos permettrait à PGL de différencier le trauma du réel chez Lacan (rappel : le réel de Lacan n’est pas historicisable, il est inimaginable, indicible, bref, c’est pour chacun de nous l’inconnaissable). Mais PGL ne va pas plus loin. Il ne dit rien de la différence entre trauma et réel lacanien.

Je relève cette citation de Lacan (entretien à France Culture du 02/12/1966) : « L’inconscient n’appartient pas à “ l’espace euclidien ”, il faut lui construire un espace propre, et c’est ce que je fais. » Le topos structurerait donc l’inconscient. Il serait ce qui échappe au langage. Bon.

Cela me rappelle le Mont Analogue de René Daumal, « roman d’aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques ». L’analogue, selon l’étymologie, c’est le discours qui  va de bas en haut : le « mont », ou la montagne, c’est la connexion, selon Daumal, entre le visible et l’invisible. « Et ce qui définit l’échelle de la montagne symbolique par excellence – celle que je proposais de nommer le Mont Analogue – , c’est son inaccessibilité par les moyens humains ordinaires. […] Pour qu’une montagne puisse jouer le rôle de Mont Analogie, concluais-je, il faut que son sommet soit inaccessible, mais sa base accessible aux êtres humains tels que la nature les a faits. » (chapitre premier). Daumal construit son espace propre, celui de la littérature évidemment, proposant au passage une métaphore de la création littéraire, mais aussi de la part inaccessible à l’homme qui excède le « symboliquement authentique », à savoir : le hors-langage. À ce titre, la phrase inachevée du roman de Daumal est troublante :

« Sans elles, une quantité de plantes qui jouent un grand rôle dans la fixation des terrains mouvants, »

Je ne peux m’empêcher de substituer à « plantes » les « mots », aux « terrains mouvants » le « réel ». Daumal n’a pu, physiquement, terminer sa phrase. La virgule laisse en suspens le devenir du livre que le lecteur continuera en conjectures invérifiables, toutes trouées par la mort de l’auteur.

L’analogue, c’est le semblable, le similaire, cette espèce de double qui colle à tout sans jamais être ce à quoi il colle.

Rappel de la logique intuitionniste qui a permis à Lacan de lever des lièvres. Ainsi du traitement du concept de désir, noté Φ pour « signifiant phallique », qui ne fait pas référence au patriarcat, mais qui est le « signifiant sans signifié autour duquel (…) se règle toute la question de la jouissance », précise PGL. Ce signifiant jouerait le rôle de deus ex machina : les aléas du désir, au-delà de la logique du tiers-exclu, du vrai/faux : c’est le « mi-dire » ou le « médire » de Lacan. Pour le sujet parlant, sa vérité surgit quand lui-même est exclu de ce qu’il dit.


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