La Machine de Perec : quels protocoles ? (2/7)

On se souvient sans doute de la dilection de Perec pour l’écriture à contraintes : le roman lipogrammatique La Disparition (1969), écrit sans la voyelle e, Les Revenentes (1972), écrit avec pour seule voyelle le e ; La Vie mode d’emploi (1978) – dont les premières traces du projet sont de 1967, contemporaines de l’écriture de La Machine – réalisant le chef-d’œuvre de Perec : un roman constitués de romans, dont l’écriture ressortit à une machinerie  complexe (plan de l’immeuble, succession de chapitres obéissant aux déplacements du cavalier sur un damier, modèle du bi-carré orthogonal d’ordre 10, etc.). Ces grilles que Perec interpose entre le texte et nous sont celles qui permettent la distanciation par rapport à la réalité, et c’est cette distance qui permet au lecteur attentif de distinguer les objets du texte perecquien, à savoir la réalité sociologique et autobiographique d’une part, les dimensions formelle et romanesque d’autre part ; ou encore, et plus schématiquement : l’écriture et la réalité.

Le projet de La Machine, dès 1967 donc, présente un changement des objectifs de Perec, peut-on lire dans la préface de Valentin Decoppet. Du 17 mars au 15 octobre, Perec passe en effet d’un monologue à sept voix à un « “ contrôle ” central et trois mémoires », pour s’intéresser à « l’objet auquel elle [la machine] applique son savoir, ses méthodes et ses possibilités » et non plus, précise Valentin Decoppet, à « l’âme » de la machine. Cet objet, c’est la poésie. Ainsi, écrit Perec à Helmlé dans une lettre du 15 octobre, le cahier des charges comprend « a) la poésie b) le silence c) le génie (ou l’erreur) » et le choix d’un poème « a) allemand (pour simplifier) b) génial c) court (pour pouvoir le traiter abondamment d) concernant exclusivement le silence ».

Je ne dirai rien encore des jeux auxquels convie La Machine sur le texte de Goethe traduit en français, sinon qu’ils sont d’une saisissante modernité – due en partie au fait que les protocoles d’analyse textuelle adoptés par Perec obéissent à une logique informatique toujours actuelle. Voici les 5 protocoles retenus par Perec pour analyser le poème :

«  le protocole zéro (connaissances de base) est de nature esssentiellement statistique : il analyse et systématise en chiffres le matériau linguistique du poème »,

« le protocole un (opérations internes) est de nature essentiellement linguistique : il utilise le matériau linguistique présent dans le poème »,

« le protocole deux (opérations externes) est de nature essentiellement sémantique : il transforme le poème par des contraintes et des modifications externes »,

 « le protocole trois est de nature essentiellement critique : il examine les liens et les connexions possibles entre le poème et son auteur »,

« le protocole quatre (l’explosion de citations) est de nature essentiellement poétique : il confronte tout d’abord le poème avec le canon poétique mondial, pour en extraire finalement ce que l’on peut nommer le noyau essentiel de la poésie ».

Toutes opérations à l’œuvre aujourd’hui dans les moteurs de recherche dopés à l’ « Intelligence Artificielle ».

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Photo credit: bluelephant on Visualhunt.com


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