Enigm(e), la Machine à coder (4/7)

Dans le recueil parodique de littérature scientifique Cantatrix sopranica L. et autres écrits scientifiques,  le X figure en bonne place, à la fin du premier mot-titre. Perec pastiche la prose scientifique : l’étude porte sur les réactions d’une cantatrice qui reçoit une tomate bien mûre. Entre clins d’œil au lecteur  – les publications scientifiques citées sont de « Zeeg & Puss », « Hun & Deu », « Karybb & Szylâ »…, et accumulation rabelaisienne : «  afferents have been likely pointed out as well as macular, […], saccular, [..], utricular, […], ventricular, […], monocular, […], binocular, […], triocular, […] », on perçoit des indices que l’écrivain aime disséminer et cacher : « numerous observations have been made that have tried to decipher the tangling puzzle as well as the puzzling tangle of…” (je traduis à ma manière : « de nombreuses observations ont été faites pour déchiffrer l’énigme embrouillée et l’embrouillamini énigmatique ») qui renvoie à “l’art du puzzle” exposé en préambule de La Vie mode d’emploi, où Perec précise que « seules les pièces rassemblées prendront un caractère lisible, prendront un sens » – ce qui est un mode de lecture applicable à un texte de Perec comme à l’ensemble de son œuvre. Ïl précise ensuite que les pièces de puzzle (« énigme » en anglais) «  se divisent en quelques grandes classes », l’une d’elles étant « les croix », schéma à l’appui.

Une nouvelle signification s’ajoute aux précédentes : le X de la pièce de puzzle, le X du mystère que le lecteur devra résoudre en découvrant la cohérence secrète des 99 chapitres (d’ailleurs numérotés en chiffres romains qui font apparaître le X à de nombreuses reprises), comme autant de pièces du roman-puzzle, où apparaissent l’artisan et faiseur de puzzle Gaspard Winckler lié à celui qui les résout, le milliardaire Percival Bartlebooth. Le X renvoie alors au puzzle à la fois comme jeu (dont Perec était amateur, comme il l’était du jeu de go, des mots croisés) et comme lettre-chose, comme métaphore de la littérature, comme signe d’une part manquante qui creuse toute son œuvre : la disparition de ses parents dans sa petite enfance, qui ne cesse de béer.

Le X : « rayure », « ablation », écrit-il dans W ou le souvenir d’enfance, substantifs que l’on peut sans peine référer aux parents disparus ; « multiplication » et « mise en ordre » pouvant quant à eux s’appliquer aux stratégies d’écriture perecquiennes. Les contraintes parfois extrêmes qu’il s’impose sont une application imaginaire de cette mise en ordre, de cette quête de repères qui lui ont tant fait défaut : « Ce qui caractérise cette époque [entre (s)a onzième et (s)a quinzième année] c’est avant tout son absence de repères : les souvenirs sont des morceaux de vie arrachés au vide. Nulle amarre. Rien ne les ancre, rien ne les fixe. Presque rien ne les entérine. Nulle chronologie sinon celle que j’ai, au fil du temps, arbitrairement reconstituée : du temps passait. »


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