« On n’arrête pas un visage », écrit la poète Lili Frikh. Attendez voir de quoi je cause.
craquelures motif du visage confondu avec le mur apparition-disparition, strates (épiderme/derme) circonscription ovoïde de la matière écaillée ce que l’on peut prendre pour un visage on est juste en-deçà de la paréidolie suggestion de visage humain qui apparaîtrait ou disparaîtrait du mur indécision est-ce le mur qui confère au visage sa matérialité craquelée en tirant les traits vers un chose ? est-ce un visage-empreinte un visage-ébauche en passe d’humaniser le mur ? peinture pariétale mur & os du crâne

bouleversement de l’ordre du temps de la création, impression que l’artiste s’est arrêtée devant les écailles, les écrasis, la filasse, les boursouflures d’un enduit jaunâtre, pour y apposer une trace rouge, pâle et coulante, afin d’évoquer, subrepticement, symboliquement, la courbe d’un menton (« les anciens peintres commençaient par le sens, et lui trouvaient des signes. Mais les nouveaux commencent par des signes, auxquels il ne reste plus qu’à trouver un sens », écrit Jean Paulhan dans L’Art informel)

mais il n’en est rien, sans doute : Maite Soler remonte le temps historique de la peinture pour le reparcourir jusqu’à moi, jusqu’à l’instant précis de ma confrontation au « tableau » (faut-il encore appeler « tableau » cette création sans cadre ni titre ? ne serait-pas là l’effet sur moi d’une réduction idéologique, d’une concession paresseuse à une certaine histoire des formes ? auquel cas, il me faudrait trouver un autre nom que « tableau »)
Cet aller-retour temporel dont le point de butée est l’œuvre que j’ai sous les yeux ne met pas entre parenthèses le sujet créateur et historique nommé « Maite Soler », tout au contraire : l’œuvre est instruite du début à la fin, elle est informée, avec sa part d’accidents. Le primat accordé à la matérialité, s’il relève bien d’une influence de l’art informel, de l’art brut, est un choix, indexé à un moment du geste créateur : il faut le recontextualiser dans ce que moi, spectateur sensitif, découvre du reste de l’œuvre, sur tous ces murs accueillant la centaine de visages, qui n’obéissent pas à une composition unique qui se répèterait de tableau en tableau, mais constituent le dépassement de moments créatifs uniques, pour devenir une geste.

Fantômes Baillons blancs Baillons noirs & œillères blanches Empêchements Cris dentés Rouge fureur Rouge menstrues Bleu larme



Se fendre la gueule, en rester la gueule fendue-dédoublée, fendue-répétée, perdre un œil dans l’histoire

D’ailleurs ou d’ici allez vous faire cuire un œil

dans la peinture de Maite Soler tout est là : la signature, les dimensions du support, la date, la vie-déchirure qui passe du dedans au dehors l’indécidé le suspendu le tenu en haleine le clownesque l’échevelé
Le magnifique catalogue de l’exposition, publié à La main qui danse, est le lieu d’une autre rencontre : celle de Maite Soler (qui est aussi poète, danseuse) et qui donne deux textes, « Derrière et devant le rideau », « Je les ai appelés autages », et de la poète, chanteuse et plasticienne Lili Frikh, qui signe quatre textes qu’elle lira lors de la clôture de l’exposition. J’aurais voulu vous faire entendre leurs voix, mais pour une raison inexplicable, l’enregistrement sonore n’a pas fonctionné.

Pour clore ce billet, je vous laisse avec ces deux immenses artistes :
« Je les ai appelés autages », Maite Soler
(extrait)
« Alors je demande à mes visages
Otages ?
Nous sommes devenu.es convenables en apparence
un cri à l’intérieur
Otages de qui ?
On a été dressé.es depuis notre plus jeune âge…
Surtout redresser l’arbre avant qu’il ne soit trop tard.
pour le confort de qui ?
Nous sommes devenu.es convenables
un cri à l’intérieur.
Autages. »
*
Lili Frikh :
« Rien de plus profond de plus obscène de plus inacceptable. Rien de plus vrai de plus simple de plus libre de plus fort de plus démuni. Rien de plus dangereux de plus nécessaire de plus rare de plus difficile de plus méprisé. Rien de plus amoureux de plus humilié rien.
Rien.
Rien de plus fou. Rien de plus nouveau. Rien.
Rien.
Que la sincérité. »


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