29 – 30 nov 21

L’EMPIRE DU ROMAN, L’EN PIRE DU MEME

29 nov

293. Un premier retour critique favorable de Christine Mercandier (revue Diacritik) pour Archéologies ferroviaires.

294. Très bon article de Christiane Chaulet Achour dans Diacritik justement, sur le 17 octobre 1961. Le visage de pierre de William Gardner Smith (Simeon témoin du crime des policiers français qui noient des Algériens dans la Seine).

295. Zoom TL où l’on discute des projets de chacun, des livres publiés, de la revue DIRE et de la mise en ligne des podcasts.

30 nov

296. Je bataille avec LMMS, il faut que je me rabatte sur un outil plus facile…Je choisis Bandlab, en ligne, pour me faire les dents. L’idée est de ne plus dépendre des musiques à chercher sur le net, mais de créer les miennes. Je parviens à faire un petit morceau. L’amusant dans tout cela est de trouver la bonne synchronisation – je préfère mise en musique – pour des textes littéraires qui a priori n’ont pas besoin de musique, car ils se suffisent à eux-mêmes. Mais pour avoir écouté de nombreux podcasts, de lectures «  synchronisées », il est possible de déployer une toile sonore qui ne fasse pas boiter la lecture, qui ne soit pas redondante, mais qui enrichisse le duo voix de l’auteur / voix du lecteur d’une couleur supplémentaire. Expérience d’une totale étrangeté (j’écoute une voix dont je me dis qu’elle est mienne, sans pour autant parvenir à coller à elle : dans le casque, quelqu’un parle qui parvient à peu près à respecter les modulations que je veux donner). Quel accompagnement sonore pour, disons, Michaux ? Sebald ? Joyce ? Schmidt ? Ai commencé le début de La République des savants d’Arno Schmidt en podcast sur Spotify. J’ai bien trouvé une piste, mais il faut me renouveler. Mis en ligne sur L’Œil le 19e objet sur 107. Un peu dingue…

297. Expérience décou | rageante de visite à un libraire montpelliérain, qui affirme, mon livre Archéologies ferroviaires en main, qu’ « ici on ne lit pas de poésie ». Il me demande de quoi il retourne dans ça (le livre, donc), et se satisfait de ma réponse à peine commencée et qu’il s’empresse de couper. Bon, il y a bien une ou deux personnes qui pourraient être intéressées [à une lecture en librairie], mais il faut que ça passe en commission de lecture. Bref, pas même le minimum syndical, ni un semblant d’intérêt. Je quitte la librairie La Cavale. Une amie auteure, Françoise R., me rapporte la même expérience chez d’autres libraires. Un mal endémique, donc. Si un libraire ne fait pas son travail…C’est l’empire du roman, urbi et orbi. J’adore les romans, là n’est pas la question. Mais on est à l’ère de la facilité, de la consommation. Surtout ne pas tenter de penser contre soi. Suivre la pente. Aller dans le même sens. J’irai à Sauramps voir l’attaché de presse, par acquis de conscience. La Poésie est morte, vive la Poésie.

« Dans le fond de nos os, on fait chanter le Chant profond. C’était si simple. On l’attendait depuis si longtemps. Je ne peux pas vous expliquer… » H. Michaux, Face aux verrous (IX, L’Etranger parle).

Des libraires & des lecteurs qui ne laissent plus parler en eux l’Etranger. Ils l’ont banni : trop inquiétant, trop dérangeant. Pas le temps. Autre chose à faire. Vivre, quoi. Mais c’est justement le retour de l’Etranger en soi qui change tout : la perspective est autre. Sortir du Grand Engluement dans le Même.

28 nov 21

Photo : B.L.

290. Je n’avais pas mesuré l’inertie du livre en train de s’écrire, son erre en moi (comment aurais-je pu, d’ailleurs, puisque ce savoir ne se révèle que dans l’action). Je la mesure, comme un paradoxe, à mon impossibilité d’écrire certains jours. Pour reprendre le poinçon 271, je suis à ce moment-là empêché. Revoir les anciennes diapos m’a donc durement empêché (divers symptômes). La dynamique est celle de l’à-coup et de l’après-coup. Etymologie de « coup » :

881 colp « mouvement par lequel un corps vient heurter un autre corps » (Eulalie, 20 ds Henry Chrestomathie, p. 3) (CNRTL)

C’est ce corps photographié, là devant, projeté au mur.

Les à-coups, la saccade : un régime moteur induit par des empêchements ; des secousses violentes. J’écris souvent (toujours ?) par à-coups. N’écrit-on d’ailleurs jamais que par à-coups ? Un autre régime est-il possible ? A creuser : de quelle temporalité parle-t-on ?

L’après-coup : continent énorme de la psychanalyse. Cf. Bernard Chervet (“L’aprèscoup : La tentative d’inscrire ce qui tend à disparaître”,  Revue française de psychanalyse 2009/5 (Vol. 73), pages 1361 à 1441).

Le contrecoup : tenter d’inscrire ce qui tend à disparaître. Je me retrouve dans cette formule de B. Chervet. Mon utilisation de la barre verticale comme délimitation de la phrase dans Algérie, comme scansion rythmique, j’avais commencé à la formaliser (poinçon 47) : la barre ponctue, hache, coupe les essors lyriques, rappelle le S barré de Lacan, mais je la garde comme une coupe musicale délimitant des mesures mélodiques, autonomes et interdépendantes, traces musicales de dépôts. Elle me sert à évoquer le mi-dit de la guerre (mi-dit car inconnue de moi, silencieuse sinon les traces qui m’ont traversé cinquante ans). Couper les essors lyriques : oui, mais aussi, ou surtout, brider l’émotion. La barre serait alors une contre-contrainte, l’empêchement de l’empêchement, devant la force de percussion de ce que je revois. Surgit un souvenir d’enfance : mon père projetait des films super 8, et contenait mal son émotion en revoyant ses parents morts s’animer sur l’écran. J’ai laissé à Toulouse le projecteur et ses fantômes animés ; je m’occupe des photographies, c’est déjà bien assez pour l’heure. S’abîmer.

291. Visite sur les réseaux. Découvrir ce que font les autres. Sorties de livre (Françoise Renaud, Nathalie Holt), journaux de bord (Emmanuelle Cordoliani, sur le site café Europa), expos… Tisser des liens.

292. En dérive, hâtif : lire tout à fait autre chose que des livres sur le thème de A.

25 nov 11

285. Encore pas mal de temps passé à travailler sur le site L’œil a faim : ajout d’une page consacrée aux podcasts, création d’un menu sur la page (sans widget dédié, il faut ruser avec les outils dont je dispose), ajout des poinçons manquants à la page « Poinçons », avec création d’un index pour permettre de naviguer (à l’instant où j’écris, 71 pages A4), fin du mixage de l’objet 11 (du braille, Catherine Serre), lecture de tutos divers. Bref, de l’intendance. J’oublie les tâtonnements sur le séquenceur Ableton et le clavier MIDI.

286. Manœuvres autant nécessaires que dilatoires à ce qui suit. Remonter le projecteur, le mettre en place, glisser les diapositives cartonnées dans le panier (et non chariot, comme je l’appelle)… Dans une camera obscura, sur notre rétine, l’image est inversée. Le cerveau traite les infos, haut et bas, droite et gauche, profondeur, distance, couleurs…et nous voyons une image corrigée ; dans un boîtier, les miroirs jouent le rôle du cerveau. J’arrive à la fin d’une chaîne de traitements optico-chimiques en glissant une diapositive dans le panier ; mais je dois la glisser à l’envers pour la voir projetée à l’endroit : ainsi, l’image photographique, comme si elle était projetée sur une rétine ou dans une camera obscura, doit être retournée pour s’accomplisse à nouveau la correction. Je deviens un opérateur mécanico-optique…

C’est un bon projecteur, de marque allemande Carena, autofocus 3000. Il démarre au quart de tour, la lampe fonctionne, le chariot-panier avec sa télécommande à fil avance et recule parfaitement. Je suis tendu, j’abuse du chocolat Côte d’Or au lait (régression infantile ?).

287. Je réalise pleinement pourquoi je remettais constamment cette première séance : je suis remué aux larmes, soudain saisi d’une infinie tristesse, devant le jeune militaire que je découvre. Tout me saute à la figure. Je vois ce que ses yeux ont vu, ce qu’il a pris le temps de photographier ; je revois ce que enfant j’avais regardé avec l’attention un peu négligente de qui ignore encore la mort. Je visionne assez vite un petit paquet de diapositives, l’émotion est trop forte, j’arrête. J’éprouve à nouveau le deuil. Jamais le mot «  poinçon » ne fut plus approprié qu’aujourd’hui. Oui, j’irai au bout, bien sûr. Je regarderai tout cela. Se révèle tout ce qui imaginairement me manquait : là où il a vécu, le cantonnement, les amis, le désert. Diapositives vues et oubliées, dont l’une d’elles a réapparu sous forme d’une photo retrouvée chez ma mère il y a peu. Images hanteuses, images désirées, que je fuirais presque maintenant, pour l’intensité émotionnelle qu’elles suscitent.

288. L’écriture est une sismographie.

289. J’ai écrit une page sur mon père projectionniste certifié en 16 mm . J’ai imaginé ce qu’il avait pu ressentir en projetant un film, vers 1961 ou 62. Je me retrouve dans une situation un peu analogue, à côté de ce projecteur diapos qu’il a acheté puis soigneusement rangé dans un placard de ma chambre, il y a bien longtemps. Encore que l’analogie trouve vite ses limites. Je regarde des photographies qu’il a prises il y a maintenant 60 ans, dans le désarroi ravivé de la perte . Le boîtier photographique est une machine nostalgique. Je regarde ces spectres immobiles et lumineux, souriants ; ces paysages arides ouverts, enneigés ou gris, qui n’ont pas dû changer tant que cela (la forme d’un désert change-t-elle moins vite que le cœur d’un mortel ? Sans doute.) Il va alors falloir prendre quelques précautions pour aborder sans trop de craintes cette expérience de spirite : visiter un mort. Mon trouble s’apaise. Je relis quelques pages de La Chambre claire de Barthes, y retrouvant son regard distancié sur la Photographie.

Photo : Michel Lecat

Nouveauté : la page LMM Podcasts de L’Œil a faim

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Les textes lus pour ces podcasts sont différents de ceux de la Sentimenthèque

A venir : La République des savants de Arno Schmidt, en préparation, et bientôt des textes de Kajii Motojirô (Japon), de Wilfried Georg Sebald (Allemagne), de José Emilio Pacheco (Mexique), de Soth Polin (Cambodge). Je n’oublie pas les auteurs francophones : patience…

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