« Le vrai mouvement est poétique »

Du temps passé aujourd’hui avec Pierre Soulages, au musée Fabre de Montpellier. « 1re grande rétrospective mondiale depuis la disparition de l’artiste » : l’exposition est fort belle. On suit le cheminement de l’artiste, son utilisation du brou de noix, ses compositions un peu rigides du début, son invention de l’outrenoir, en 1979, les outils de raclage qu’il fabrique, on perçoit l’influence de Picasso, de Hantaï, entre autres.

J’aime Soulages : c’est un peintre qui fait danser le noir et le blanc. Sa peinture est avant tout physique : il peint certains tableaux à plat sur le sol, utilise des passerelles surplombantes pour les grands formats. Sous lui, l’espace du tableau, ses mouvements, ses creux et ses pleins, ses textures mates et brillantes. Il me fait rêver de la matière, des veines de charbon, du carbone pur, du noir lumineux et diamantin.

Selon l’inclinaison donnée au racloir, il dépose de la peinture, la racle, fait réapparaître le fond qu’il a préparé, éclatant de rouge et de bleu.

Un des tableaux que Soulages aimait : Sainte Agathe de Francisco de Zurbarán (vers 1635-1640). « C’est la couleur si particulière de Zurbarán qui me touche : […] les accords de mauve et de jaune, le mauve de la jupe et le jaune des manches, si lumineux, si actif, la grande oblique rouge du manteau ou le plus discret bleu-verdâtre du corsage, le tout sur un fond noir. »

Soulages peintre du clair-obscur ? Non dans le goût hollandais, c’est vrai. Mais l’usage qu’il fait du noir et du blanc évoque l’équilibre de deux lumières qui ne s’opposent pas, mais s’illuminent mutuellement.

Voici l’un de mes préférés.

Je le rapproche de l’oeuvre suivante…à ma grande joie, une encre de Michaux de 1961 ! Intitulée sobrement « Peinture à l’encre de Chine » – Soulages nomme ses tableaux « Peinture… », de façon tout aussi neutre. Pas de mots qui guideraient ou influenceraient le spectateur. Non, rien que les sensations. Michaux peignait pour se « déconditionner » des mots. Soulages n’y a pas recours.

A côté du Michaux, un Zao Wou-ki de 1965…je défaille.

Soulages ira au Japon. Il verra la peinture de Morita Shiryu. Je ne connais pas ce peintre (1912-1998), j’en découvre « Mau (dancing, soaring; true motion is poetic – danser, s’envoler; le vrai mouvement est poétique) », peint vers 1969 :

Le tableau est saisissant : on accompagne visuellement le mouvement du peintre ; le fond noir révèle un or kinesthésique, diaphane ou plein, fleur-calligraphie.

Je reviens une dernière fois à ce tableau de Soulages qui m’enthousiasme :

Je n’en dirai rien maintenant.


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Réponses

  1. Avatar de Emmanuelle Malhappe

    Toute cette beauté ! Quelle chance nous avons !

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  2. Avatar de francoiserenaud

    quelle belle chronique qui nous entraîne dans de magnifiques sensations…
    pour ma part, une sensibilité particulière pour ce tableau fleur-calligraphie de Shiryu, qui me ramène vers les inflorescences séchées des prairies d’automne
    merci Bruno, pour ce vrai voyage…

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  3. Avatar de Christine Maillard

    Merci pour ces nouvelles découvertes ! Je n’ai pas encore pris le temps de voir l’expo Soulages. Moi non plus je ne connaissais pas Morita Shiryu. C’est très beau, une danse poétique entre terre et air.

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