En une égression sonore :
Inspire & pousse l’air dans tes poumons vers le chenal vocatoire, fais vibrer au passage tes cordes vocales, caresse le milieu de ta langue, l’air s’échappe par le nez |n| Arrondis tes lèvres en une légère constriction pour laisser ce filet d’air naviguer, comme le n, par le milieu de la langue |w|Ta bouche bée pour le |a| précédant la dernière égression pulmonaire qui harpe tes cordes vocales |R| Et répète |nwaR| Regardes-en la trace

En une digression lexicale :
De mâcher à gâcher : je ne mâche pas mes mots (au-delà de la simple fonction organique de digestion, la spontanéité d’un parler vrai), je gâche une couleur – ou plutôt, le mot qui la désigne (car le concept de chien ne mord pas, ah le cratylisme). Mais enfin, quelque part entre la doxa linguistique et le glissement consonantique de m à g, se joue quelque chose. Gâcher du noir, donc. Comme on dit « broyer », mais « gâcher » est une préparation moins violente, requérant moins d’énergie (« gâcher du plâtre » : délayer avec de l’eau, en vue d’une opération de maçonnage, de hourdage ), mais aussi une opération qui n’a pas abouti : un échec (qui peut demander de l’énergie, aussi bien).
En un glanage :
Le noir évoque le passé minier de mon enfance (Valenciennes, Anzin, Raismes, La Bleuse-Borne, Beuvrages, Bruay-sur-Escaut), les bassins houillers, les gueules noires, qui portent sur leur visage leur condition de mineur, d’inhaleur de charbon voué à la silicose, de Germinal (quand Zola se rendait dans les mines anzinoises pour documenter son futur roman), la devise de la ville d’Anzin (« urit et alit » : le charbon « brûle et nourrit »). Enfant, j’en ai étudié le blason, créé paraît-il en 1874 : « D’or à la bande fascée vivrée d’argent et de sable de huit pièces, chaque fasce de sable chargée de quatre filets vivrés aussi d’argent, au chef soudé du même chargé de trois brasiers de gueules ». Le noir est ici « sable », les « brasiers » sont feux de charbons ardents. Le noir, ce sont les veines de végétaux décomposés qui courent dans la terre.Les charbonniers passaient très tôt, vers six heures le matin, en criant « Chaaaarbon », attendant de voir apparaître aux portes les visages bouffis de sommeil d’un client : alors ils déversaient une quantité impressionnante de gros boulets noirs par le soupirail, ce brasier froid à ras du soubassement de façade (les soupiraux voilés de toiles d’araignée, soufflant l’été leur haleine glacée, m’ont longtemps effrayé). Dans un poussier noir, dans un vacarme à réveiller la rue, le charbon emplissait la cave d’un petit terril (que je prononce terri, à la wallonne). Noir pulvérulent, charbonneux, fusain des matins froids, que l’on allait chercher armé d’un seau à l’ouverture évasée pour alimenter le poêle. La petite montagne noire au fond de la cave rappelait les chevalets d’extraction et leurs immenses terrils de déblais, rejetés à la surface d’un paysage de dunes noires, toujours en mouvement. J’aimais ces petites montagnes difficiles à gravir, au sol labile et fuyant. Il aura fallu attendre la fermeture des mines et la conservation des terrils pour qu’un jour je puisse gravir, dans la forêt domaniale de Raismes, l’un des terrils les plus hauts. Le noir y cède au vert de la végétation qui a peu à peu envahi ces mamelons schisteux. Les trognons de fruits jetés par un mineur dans un wagonnet de charbon ont donné naissance à des arbres fruitiers ; l’oseille y pousse, ensemencée par les graines présentes dans les étais des tunnels. Par association d’idée, je pense au mâchefer, résidu de charbon dans les fours industriels. Je crois bien que j’ai retrouvé ce mot dans un roman de Manchette (est-ce Fatale ou le petit bleu de la côte ouest ? ) La mastication du charbon, sous forme de poudre ou de résidus, évoque sa dangerosité (les poussières de silice dans les poumons font mourir jeunes les mineurs qui mâchaient le noir, à en crever ) et son recyclage comme remblai. Dans ce dernier cas, il a perdu sa couleur noire, ce beau noir intense et brillant propre à la houille, au profit, si l’on peut dire, d’un résidu gris terne : couleur anthracite, un gâchefer. L’étymologie francique de « gâcher » est « waskan », « délaver, tremper ». La houille trempée se gâte à force d’être mastiquée, comme un morceau de viande rouge indéfiniment mâché prend une couleur grisâtre. Inventons aussi mâche-houille & mâche-charbon.

blason d’Anzin