3 mars 22

445. Achevé Putain de mort de Michael Herr (Dispatches en anglais). Rarement lu un tel livre : son pendant fictionnel serait Sympathy for the devil, de Kent Anderson. Dispatches (1968-69-70-77) (qu’on peut traduire par Envois de troupes, de matériel) témoigne à hauteur d’homme de l’engagement humain de Michael Herr comme journaliste et comme écrivain. Cf. la note de lecture de Hughes Robert sur son blog Charybde. Anderson et Herr se rejoignent dans le témoignage de la réalité de cette guerre. La fiction déployée par Anderson n’en est pas vraiment une, si on lit chaque livre à la lumière de l’autre. Dans les deux cas, le récit est légitimé par l’instance auctoriale : les deux étaient sur le terrain, au plus près. Et je découvre en Herr un écrivain : le geste de l’écriture est le geste même de sa vie au Vietnam. Dans Sens unique, W. Benjamin écrit : L’efficacité littéraire, pour être notable, ne peut naître que d’un échange rigoureux entre l’action et l’écriture (« Poste d’essence », p.139) Herr vit, observe, partage avec les soldats américains la démence de cette guerre ; c’est un regard à la fois artiste et anthropologue. Il résonne lugubrement en ce temps de retour à la guerre en Europe. Le geste de l’écriture est celui d’un bras armé (tel René Char et ses Feuillets d’Hypnos 1943-1944). Herr n’est pas armé, il est correspondant de guerre, et ce travail quotidien d’aller sur le terrain, d’écrire des articles (pour Esquire), puis l’écriture du livre, est justement d’établir des correspondances, c’est-à-dire faire communiquer espaces et temporalités entre les Américains au pays et les soldats ; entre l’Amérique et le reste du monde ; entre 1968 et l’époque à laquelle on lit ce livre. Evidence certes, mais qui rappelle s’il le fallait l’efficacité de Dispatches. La lecture en est douloureuse, comme celle de Remarque, Jünger, Genevoix, et tant d’autres.

446. Tout cela (et l’invasion de l’Ukraine, et ces lectures) me réassigne à ma juste place dans le projet d’A., qui doit trouver sa propre efficacité. Ce n’est pas un récit de guerre. C’est le chemin toujours parcouru vers un homme que je n’ai pas connu à l’époque, vers une guerre que je ne découvre que dans les lecture et les visionnages, dont je ressens encore les effets aujourd’hui, et que l’actualité rend brutalement encore plus prégnante.

447. Reçu El reposo del fuego de José Emilio Pacheco, recueil de poèmes de 1966, ainsi que Le passé est un aquarium, aux éditions de La Différence, édition bilingue traduite par Gérard de Cortanze, celui qui a aussi traduit Tu mourras ailleurs, La lune décapitée. (Batailles dans le désert est un roman qui a été traduit par Jacques Bellefroid). Envie de traduire El reposo del fuego. J’attends d’abord la réponse d’Actes Sud pour Le sang de Méduse.