26 & 27 déc 21

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363. Achevé enfin le livre de Jauffret. Ai commencé Chiens de la nuit de Kent Anderson, James Crumley (Préface) Jean Esch (Traduction), qui reprend le personnage de Hanson, vétéran des Forces spéciales, devenu flic à son retour du Vietnam (j’avais lu Sympathy for the devil, un sacré choc). Le nom du personnage porte deux syllabes sur trois du nom de l’auteur.

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364. Relire à présent le Jauffret, en nourrir A. de tout ce qui m’échappait : c’est toujours ça qui n’est pas tout à fait perdu.

365. J’écris A. en archipels, où je débarque riche des autres archipels mais naufragé (marooned).

366. Travail aujourd’hui sur le livret individuel de mon père. L’horizon s’éclaircit, notamment avec le cœur du livret : « Relevé des services militaires ».

J’avance millimétriquement et par bonds (Mc Arthur dans le Pacifique). Je découvre a) qu’il était basé au QG Santon à Mers-El-Kebir, port d’Oran- b) du 17 juillet 61 au 11 juillet 62 (ça, je le savais déjà). Soit 11 mois et 24 jours à terre. Mon père a rajouté de sa main DMBEO, pour Détachement marine du barrage électrifié de l’ouest. Indice précieux ! Donc une partie des photos et diapos pourrait être de l’ouest oranais. Je me souviens qu’il évoquait aussi Aïn Sefra, beaucoup plus au sud, près de la frontière marocaine. Je ne trouve pas grand-chose sur le Fort Santon de Mers-El-Kebir.

367. Cruelle déception : je devrai me contenter des 28 poses de la petite boîte jaune « Algérie ». Vraie vague de tristesse, comme s’il s’était éloigné davantage encore. (Je retrouve dans les autres diapositives, une pose où l’on apparaît à deux : je dois avoir 4 ou 5 ans, sur une plage ; soit en 71 ou 72.) Et d’autre part, 14 photos en NB, dont 2 en double. C’est donc bien moins que ce que j’espérais.

368. Lu dans 4. Le structuralisme en psychanalyse de Moustafa Safouan (dont j’ai entendu parler à Rabat), Points Seuil 47 : M. S. revient au texte de Freud (Esquisse d’une psychologie scientifique) où ce dernier « essaie de formuler pour la 1ere fois sa vision de l’inconscient ». Freud évoque les processus primaires, censés être soumis au principe de plaisir, processus qui  « visent à une identité de perception, c’est-à-dire non seulement au retour de ce qui a été perçu une première fois, mais à son retour avec le poinçon de cette fois-là. »

16 déc 21

336. Lu au détour d’une recherche, de Wittgenstein (Recherches philosophiques), sur la notion de langage naturel : « Bedeutung ist der Gebrauch », c’est l’usage du mot qui détermine sa signification. Quel usage fais-je du mot démon ? Je n’ai pas besoin de comprendre l’essence du mot « démon » pour l’utiliser. Pas d’essentialisme de la langue. Je ne fais que m’appuyer sur la représentation de ce qu’est pour moi un démon. Alors, avant ? Deux commentaires au poinçon précédent viennent apporter une certaine eau à mon moulin. Elsa C. me rappelle sa lecture du Vice-consul de Duras (que je n’ai pas lu), dans lequel figure le mot battambang. Elsa faisait allusion à mon goût du mot « condensé ». Battambang pourrait être un mot qui enferme plus que ce à quoi il se réfère (une ville cambodgienne) pour le personnage. Piste à suivre. Deuxième commentaire, d’Emmanuelle Cordoliani : contrairement à moi, le (trop) condensé signifie pour elle le pas assez (re)travaillé, l’à mi-mot qu’il faut deviner (j’avais tapé l’ami-mot), voire le fantasmatique avant-mot. Tout cela pourrait être le moyen d’accéder, d’une manière ou d’une autre, au hors-langue dont parle Nicolas Pesquès. C’est aussi l’archi-écriture dont parle Jacques Derrida, et qui se trouverait dans la peinture et son écriture non-verbale. Un avant-langue, en fait. Le condensat en est-il une voie ?

337. Pierres de mon jeu de go intérieur : attention à l’encerclement.

338. Freud et la condensation (Verdichtung) : rassemblement d’intensités. Point de nouage entre éléments hétérogènes. L’un des mécanismes en jeu dans le rêve. Un seul élément du rêve manifeste peut recouvrir, par condensation, plusieurs éléments latents. Je transpose ; un seul mot comme nouage de plusieurs autres mots (ce qui est déjà vrai en linguistique : on choisit un mot dans l’axe paradigmatique pour l’insérer dans une chaîne syntaxique). Mais là où est l’enjeu : le choix du mot retenu permet d’activer des paradigmes multiples, hétérogènes, et ce grâce à d’autres dispositifs (néologisme, mot-valise, jeux sur la graphie, sur les homophonies intra et interlinguistiques, etc.).

Il reste de l’intraduit, ce que Freud appelle l’ombilic du rêve. Ce pourrait être ce que j’appelais l’insaisi. L’avant-langue serait l’ombilic des langues. L’avant-langue serait le lieu du manque, non comme absence ou vide, mais des hétérogènes, des énergies. Derrida distingue l’écriture logocentrée, systémique, liée au sujet et au logos, de l’archi-écriture, ouverte à l’autre, à l’hétérogène. Clôture d’un côté, dissémination de l’autre. L’avant-langue comme matériau infini.

339. Je reprends le poinçon 270, écrit il y a un mois jour pour jour.

L’insaisi : ce qui m’a échappé, dans tous les sens du terme (c’est donc très vaste), ce qui a mis l’apercevance en défaut ; cela englobe les actes, les situations. L’insaisi comme ce qui me reste celé. Ce qui reste donc à saisir, dans la mesure du possible, par la pensée, par le souvenir. L’insaisi se donne comme tel parce que ce manque me traverse.

J’amende : « ce qui reste à saisir » par l’écriture, aussi bien. Traversé par le manque de l’avant-langue.

340. Nouvelles pierres sur le jeu de go :

a) Que se passe-t-il à choisir un mot plutôt qu’un autre ?

b) Est-ce là application d’une règle ? (cf. Wittgenstein)

c) Le condensat est-il vraiment le moyen de toucher à l’avant-langue ?

A suivre, bien sûr.