Quid novi ?

Non, je ne suis pas en sommeil. Le workshop sur Littérature et nucléaire continue sa route ; je ne cesse de lire, de réfléchir à ce thème. « Lire » un livre requiert un certain engagement : une première lecture, puis une relecture, une prise de notes. Ensuite, ça fermente, ça noue des liens invisibles avec le déjà écrit. Ne pas s’engouffrer dans l’erre de ces lectures : risque de se faire déborder, de céder à la fascination pour les auteurs qui sont bien plus loin que vous. Il me faut laisser décanter, reposer ; que cesse l’agitation des neurones. Puis, reprendre, à froid, de façon distanciée. C’est là que je fais mes meilleurs braconnages, que je glane mes foods for thought. Ainsi de LTI, la langue du IIIe Reich de Victor Klemperer, de L’expérience de Christophe Bataille, d’Oublier Fukushima d’Arkadi Filine, du Monde comme projet Manhattan de Jean-Marc Royer, pour ne citer que les tout derniers. Livres admirables, dont l’écho résonne déjà dans Littérature et nucléaire.

Ces jours-ci, je suis en plein dans Hiroshima est partout de Günther Anders, injustement assez peu lu. C’est pourtant l’un des rares penseurs contemporains (au moins pour le XXe siècle) de la chose nucléaire. Son engagement a été philosophique et humaniste, comme en atteste L’homme sur le pont, journal de Hiroshima et Nagasaki, 1958, au coeur de Hiroshima est partout. Sa vision est lucide, sinon pessimiste, d’une extrême exigence morale, celle qui fait défaut aux décideurs – chefs d’Etat, militaires, lobby nucléaire. Il interroge, entre autres, la notion de souveraineté : « des actes souverains [le double bombardement atomique sur le Japon] sont devenus des actes d’ingérence » ; de même que les « expérimentations nucléaires », écrit Anders, dont les effets « portent atteinte aux droits souverains des autres pays ». Ainsi, le principe traditionnel de souveraineté a été profondément modifié (dès l’usage de l’artillerie à longue portée, précise Anders), et l’identité entre « lieu de l’acte et lieu qui subit l’acte » est complètement invalidée : le principe de souveraineté doit être révisé, puisque c’est « le lieu qui pâtit de cet acte qui doit servir de critère de l’atteinte à la souveraineté ». Je pense ici à la Polynésie française, au Sahara algérien d’avant l’indépendance, et d’une façon générale à toutes les victimes touchées dans leur chair par une technique élaborée loin de chez eux, mais dont les effets agissent chez eux.

J’ai enfin repris le manuscrit dont le noyau est la guerre d’Algérie : le projet évolue ; je dépasse – je peux enfin dépasser – le blocage lié d’une part à la figure paternelle, d’autre part à une sujétion au « récit vrai », au biographique. Je dois me rendre à l’évidence : j’en sais trop peu pour refuser le recours à la fiction. Ce vieux débat du vrai et du vraisemblable, je le vis maintenant, et non plus de façon théorique. Donc, et pour conclure provisoirement : m’appuyer sur ce que je sais être vrai, pour dériver vers le vraisemblable, fût-il fictif.

Lu dernièrement : Algérie 1956-1962, la guerre des frontières sur les barrages électrifiés, d’André-Roger Voisin. Une niche historique, oui, mais qui fut celle de mon père, en charge de la maintenance du barrage électrifié sur la frontière algéro-marocaine. C’est la seule source à ce jour qui évoque avec précision les différents effectifs engagés pour ces missions. Subsiste néanmoins une part d’incertitude, car je n’ai pas de documents officiels qui pourraient offrir plus de précision sur le cantonnement de mon père.

Mais le manuscrit s’en nourrira, je dépasserai ces zones d’ombre – je ne suis ni historien, ni biographe.

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