2 déc 21

302. Contre la computation graphique qui finit par nous aveugler (le monde, derrière les écrans de chiffres & de graphes, se déréalise) : les crashed diagrams de Ludovic Bernhardt.

Faire de l’illisible un spectacle nous renvoyant à notre lassitude des signes. Décollés, lacérés, les chiffres qui évaluent les chiffres, ces derniers censés devenir plus lisibles, deviennent percepts visuels, ne renvoient plus à rien d’autre qu’à eux-mêmes. Une trace du contexte de leur production permet encore de mesurer leur désarroi. Le crash est une étape révolutionnaire vers la tabula rasa. Le crash brise les liaisons covalentes entre abscisses, ordonnées, légendes & courbes. Le crash opère à la manière d’une bombe. La représentation fissionnée occupe alors un autre territoire : le spectaculaire, et non plus l’informatif d’une place cambiste. Informatif spectacularisé par un aggiornamento artistique : retourner les algorithmes contre eux-mêmes, et voir ce qu’un tel dispositif transforme en nous.

L’impact du coronavirus sur les marchés financiers apparaît en bandes lancéolées, évoquant pour moi des coulures (peinture, sang). Zone inquiétante – la symétrie des flèches ne laisse pas de doute sur leur dangerosité – où la figuration désarrime l’abstraction. Je pense à Cy Twombly :


https://www.wikiart.org/en/cy-twombly/nine-discourses-on-commodus-part-viii

Une certaine similarité dans la folie-signe (folie insigne) ; ne reste chez L. Bernhardt qu’un référent flottant (la hausse, la baisse du prix du baril de pétrole), à peine sensible dans la dynamique visuelle des courbes survivantes touchant au pointillisme. Signes écrasés. Twombly vagabonde, sa Blue room est tissée de fils d’Ariane qui obéissent encore à la loi de la gravité terrestre. Mais rien à lire à proprement parler : du signe ébauché, on s’aventure vers un semblant de lettre, bien inutilement. Pas d’écrasement, mais une éthérisation.

303. Je fais du sur-place (la position défensive d’une place forte, comme si je me sentais en état de siège) quant à l’écriture d’Algérie. Vais devoir adopter une autre tactique : visionner une diapositive, une photographie, à intervalle régulier. Ecrire ce livre est une expérience obsidionale.

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