26 sept 21

143. Parti dans des chemins de traverse fictionnels, idées folles, exorcismes aussi. Je fais miel de tout. Le hic étant de ne pas m’éparpiller. Ce projet A est rétif, me glisse entre les mains. De là les échappées ailleurs, qui ne sont qu’un pis-aller. Lu le récit des 44 premiers rêves de Georges Perec dans sa Boutique obscure (1973), Alvéoles Ouest de Florence Jou (2019), et le premier des sept chants du Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat (1967), lecture difficile : chant épique, âpre, extrêmement violent, des corps qui s’opposent dans la guerre et dans le sexe.

144. Relu L’Arrêt de mort de Blanchot (1948). Livre d’abord énigmatique, que l’on saisit mieux à la lumière de L’instant de ma mort (1994, parmi les derniers textes). Durablement marqué par cette proximité avec l’impensable de la mort, Blanchot évoque, dans L’Arrêt de mort, le combat d’une jeune femme, J., avec une maladie incurable. J. meurt. Blanchot écrit : Je me penchai sur elle, je l’appelai à haute voix, d’une voix forte, par son prénom ; et aussitôt – je puis le dire, il n’y eut pas une seconde d’intervalle – une sorte de souffle sortit de sa bouche encore serrée, un soupir qui peu à peu devint un léger, un faible cri ; presque en même temps – de cela aussi je suis sûr – ses bras bougèrent, essayèrent de se lever. Voilà qui éclaire en partie le titre, à lire au sens premier comme dans l’expression «  signer son arrêt de mort », mais aussi, et surtout, comme un arrêt de la mort, comme quelque chose de terrible dont je ne parlerai pas, écrit Blanchot, décrivant le regard de J. ressuscitée. Sans aucun doute faut-il lire ici un écho de cette expérience vécue par Blanchot en 1944. Qu’y a-t-il de plus terrible, de plus digne de terreur, que la mort ? Ce terrible est à lire dans le ressassement des signes qui disent justement l’arrêt de mort, soit tout le texte (j’hésite entre récit et roman), né de l’expérience de l’effraction du réel que tout homme peut vivre à l’instant de sa mort. Je vois aussi, dans la résurrection de J. à la voix du narrateur, une allégorie de l’écriture elle-même (écrire, c’est faire revenir des fantômes). Et une dimension lazaréenne de celui ou celle qui en revient (de la mort, des camps de concentration), et ce terrible est aussi l’indicible du rescapé (indicible qui peut devenir de l’ordre du dicible, comme en témoigne toute la littérature lazaréenne : Antelme, Levi, Semprun, Cayrol, Rousset, Veil, Delbo, et tant d’autres). Mais il est indéniable que tout récit de cette expérience est d’abord confrontation au silence, celui que les rescapé/es gardent, dont ils se libèrent ou non. Cette effraction du réel est ce que le texte interroge, ressasse, questionne.

145. L’expérience de Maurice Blanchot, je la convoque en lieu et place de celle de mon père. Je sais, parce que c’est un des souvenirs qu’il a évoqués, qu’il a échappé à la mort à plusieurs reprises. Souvenir qu’il n’a évoqué qu’une ou deux fois (c’est ce dont je me souviens), il est notable que c’est ce souvenir-là qu’il rapporte. J’ignore ce qu’il avait pensé, ressenti à ce moment-là : très jeune, j’écoutais cette évocation comme un fait de guerre, et me contentai de cela.

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